Le banc : cinéma

Derrière chaque grand homme…

Léa Domenach signe son premier long-métrage. Avec Bernadette, elle propose un portrait entre réalité et fiction de l’ancienne première dame de France. Biopic, comédie ou drame, on ne sait trop comment qualifier ce film, qui malgré cela s’avère convaincant.

Le film débute de manière surprenante : un chœur d’église nous avertit que l’histoire à venir s’appuie certes sur des faits réels, mais qu’il s’agit bien d’une fiction. Passé ce préambule original, nous entrons dans le vif du sujet avec Bernadette Chirac (Catherine Deneuve) qui se confesse au père Mouret (Jacky Nercessian) et se veut confiante quant à l’élection de son mari Jacques (Michel Vuillermoz). Nous sommes en 1995 et, effectivement, Jacques Chirac est élu président de la France. Le jour de gloire est-il arrivé pour Bernadette, qui pense enfin sortir de l’ombre de son époux ? La réponse est catégorique : c’est non ! Alors Bernadette fait ce qu’on lui a appris, elle soutient son mari envers et contre tout, se tient en retrait et ne fait pas de vague. Jusqu’au jour où elle ne tient plus. La vision de tou·te·s la qualifiant de « ringarde et dépassée » est la goutte d’eau. Avec l’aide de son conseiller en communication Bernard Niquet (Denis Podalydès), elle va tout changer, pour devenir une personnalité médiatique importante et appréciée de tou·te·s les Français·es…

Du biopic à la comédie

Mis à part l’introduction avec le chœur, tout commence de manière très sérieuse, images d’archives à l’appui. Bernadette reste à sa place et fait ce que lui demandent Jacques et leur fille Claude (Sara Giraudeau), la conseillère personnelle du président. Nous sommes dans les années 90 et celle qui est née Chodron de Courcel a reçu une éducation aristocratique à l’ancienne, dirait-on. Si l’image donnée est en total désaccord avec le féminisme d’aujourd’hui, il reflète toutefois bien l’époque. Cette première impression dure environ une demi-heure, le temps que le contexte se mette en place. Nous sommes alors dans le temple de la misogynie. J’en veux pour preuve les réunions de Jacques avec ses ministres, affalés sur les canapés de l’Élysée, fumant le cigare et buvant des bières…

Mais, petit à petit, tout va basculer : Bernadette s’affirme, changeant radicalement son image, avec l’aide de Bernard Niquet, qu’elle considérait pourtant comme un nul et surnommait Mickey. Comme quoi, tout évolue… Avec son soutien, donc, elle montre une autre facette d’elle, avec un comportement presque machiavélique qu’on adore. C’est ainsi qu’elle fait subtilement renvoyer Yvon Molinier (Lionel Abelanski), le vieux chauffeur qu’elle déteste, ou qu’elle humilie Dominique de Villepin (François Vincentelli) en ironisant sur son rôle raté de stratège… On commence à la craindre à l’interne, et son humour grinçant face aux médias, couplé à une image bien plus jeune donnée grâce aux tenues proposées par Karl Lagerfeld (Olivier Breitman), font d’elles une tout autre femme. La situation s’inverse alors, et le rapport de force entre Bernadette et Jacques n’est plus aussi déséquilibré qu’avant. Elle va même jusqu’à s’afficher en boîte de nuit avec le chanteur des 2be3, au grand dam du président. L’image de ce dernier est écornée, mais à qui la faute ? Il n’a pas voulu donner la place qu’elle méritait à Bernadette ? C’est elle qui l’a prise !

De la comédie au drame

Même si l’on rit beaucoup grâce à la nouvelle image de Bernadette, le scénario imaginé par Léa Domenach et Clémence Dargent ne manque pas de cibler d’autres problématiques. Elles n’oublient ainsi par de montrer tout ce que Bernadette a dû endurer : entre les remarques de Jacques devant ses ministres – à l’image du petit harceleur de lycée qui fait le malin devant ses copains – qui n’hésite pas à l’appeler « Bichette » ou « Maman » avec un air tout à fait condescendant. Il y a aussi toutes les infidélités, sans oublier les casseroles financières et le risque de prison une fois l’immunité présidentielle levée à la fin des mandats… Et puis il y a Nicolas Sarkozy, ce « traître » qui fait tout pour revenir dans les bonnes grâces du couple présidentiel, créant d’ailleurs certaines dissensions entre les deux époux·se. On notera au passage l’excellente performance de Laurent Stocker, qui parvient à incarner le futur président sans tomber dans la caricature que l’on a trop vue à l’écran.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, les rapports familiaux sont aussi compliqués. Il faut d’abord gérer les tensions avec Claude, qui se range systématiquement du côté de son père, pour qui elle a tout abandonné, et qui ne supporte pas que sa mère écorne l’image du président… Dans un second temps, c’est avec son autre fille, Laurence (Maud Wyler) qu’elle se fâche. La relation privilégiée qu’elles avaient en prend pour son grade lorsque Bernadette dévoile publiquement la maladie de sa fille. Les jeux politiques poussent parfois l’être humain à agir contre sa nature profonde, entraînant des conséquences que l’on n’avait pas imaginées… Malgré tout cela, Bernadette fait tout pour rester digne en tout circonstance. Et quand on voit son parcours, on ne peut qu’être admiratif·ve.

Quant à démêler la part de réalité et de fiction, ou d’exagération de certains événements, on laissera chacun·e se faire son propre avis. On pourra peut-être reprocher à Bernadette de peiner à trouver son ton, entre biopic, comédie et drame, mêlant un peu le tout. Pour autant, le film fonctionne étonnamment bien, et se révèle être une très bonne surprise. Il faut aussi souligner, à cet égard, l’excellente performance de Catherine Deneuve, qui rend hommage avec toute la verve et la malice nécessaire à cette grande dame qu’était Bernadette Chirac, dans toute sa complexité.

Fabien Imhof

Référence :

Bernadette, réalisé par Léa Domenach, France, sortie en salles le 4 octobre 2023.

Avec Catherine Deneuve, Michel Vuillermoz, Sara Giraudeau, Denis Podalydès, Lionel Abelanski, Laurent Stocker, Maud Wyler…

Photos : © Warner Bros.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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