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Chronique de la Grande traversée des Alpes (1/4)

Le GR5, sentier de grande randonnée européen, relie la mer du Nord à la Méditerranée. Sa dernière portion, surnommée la Grande traversée des Alpes, relie, elle, le Léman à la « grande bleue ». S’y engager, c’est parcourir plus de six cents kilomètres à pied, et franchir pas moins d’une soixantaine de cols alpins. Voici le récit[1] d’Elise Gressot, qui s’est lancée dans cette aventure, corps et âme – sans cor aux pieds, mais avec cœur, à chaque foulée !

Passionnée par la randonnée et les voyages, j’effectue ma première expédition itinérante « en autonomie »[2] en Islande, durant l’été 2015. Depuis, j’ai principalement réitéré l’expérience dans le Jura suisse et français, ainsi qu’en Asie du Sud-Est continentale. Alors, tout naturellement, quand j’apprends l’existence de la Grande traversée des Alpes, se forme le désir ardent d’effectuer cet itinéraire, hautement symbolique à mes yeux.

Départ et renais(sens)ce

En juillet 2021, je m’élance ainsi sur les routes, avec un équipement identique à celui emporté en Islande – en prévision du froid qu’il peut faire au-dessus de 2000 mètres d’altitude, surtout la nuit ! –, additionné d’une paire de crampons, car le dégel a été tardif, et certains cols seront encore enneigés lorsque j’y parviendrai. Dans les rues de St-Gingolph, point de départ de ma randonnée, je rattrape une habitante du village, dont l’âge lui impose de s’interrompre pour reprendre son souffle. Après lui avoir demandé où je pourrais remplir ma gourde, elle m’invite à le faire chez elle. J’hésite, car la matinée est déjà bien avancée, et mes jambes fourmillent d’impatience…

Mais quelle meilleure manière de commencer un voyage, que de rencontrer une personne jusque-là inconnue ; d’accueillir ce qu’elle a envie de partager ; de se laisser aller au gré de l’échange ? Souvent, il me semble que ces inconnus et inconnues, du fait justement qu’on ignore presque tout l’un ou l’une de l’autre, et qu’on ne se reverra probablement jamais, s’ouvrent sans crainte, voire se libèrent, de sujets intimes. Ils nous confient une émotion, une préoccupation, un espoir, en sachant qu’on va les emporter avec nous, dans le sillage de nos pas – comme ce quadragénaire qui, aux abords du parc national de la Vanoise, me livre avoir vu son existence bouleversée par une tumeur cérébrale de la taille d’une balle de ping-pong ; ou cette vingtenaire, dans les environs de Modane, qui raconte le harcèlement dont elle a été victime durant sa formation de conseillère d’élevage laitier, parce qu’elle était considérée comme une étrangère dans la vallée voisine de la sienne, et qu’elle était une femme dans une filière majoritairement masculine.

C’est donc enrichie de cette première rencontre que j’entame l’ascension des quelques mille cinq cents mètres de dénivelé – constellés de boutons d’or jaune éclatant, de gentianes bleu intense, d’anémones ivoirées, et de rhododendrons rose vif – qui me séparent du premier col, le col de Bise. Dès que je me mets en mouvement, je renoue avec des sensations de légèreté, de plaisir, de liberté, mais aussi avec l’introspection que favorise la marche solitaire – introspection qui m’incite même à questionner la façon dont je pose mes pieds au sol ; c’est comme si je réapprenais à marcher, comme une renaissance qui s’amorce…

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Elise Gressot

Photos : © Elise Gressot

[1] © Le Chênois, et publié initialement dans les pages de ses numéros 557, 558, 559 et 561.

[2] C’est-à-dire de manière à pouvoir survivre plusieurs jours d’affilée, uniquement avec le matériel qu’on porte sur le dos (et certaines ressources naturelles indispensables, telles que l’eau).

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