Les réverbères : arts vivants

Cinq hommes pour un moment de vie

Le Théâtre du Loup accueille la Cie du Passage et son spectacle Cinq Hommes, créé pour la première fois en 2006 ! Plus de quinze ans après, on retrouve ces cinq individus, issus de parcours si différents, pour un moment de partage et de découverte. À voir jusqu’au 30 janvier.

Tous les cinq ont quitté leur pays, en quête de travail, d’argent, et de réponses à leurs questionnements. Ces cinq hommes ont tous un parcours différent, dont les éléments nous seront dévoilés petit à petit. Le premier pense sans arrêt à sa famille, qui lui manque à un point qu’on ne peut pas imaginer. Le deuxième a fait la guerre et préférerait oublier. Quant au troisième, il a perdu sa foi en Dieu. Le quatrième cherche des réponses au fond d’un verre, alors que le dernier veut raconter des histoires pour enfants. Pendant plusieurs semaines, ils seront amenés à travailler, dormir et vivre ensemble. Alors que beaucoup de choses les opposent, ils finiront par se découvrir, s’apprivoiser et même s’apprécier.

Un moment de vie véritable et sincère

Ce qui fait la force de ces Cinq Hommes, c’est l’impression de vérité que ce spectacle dégage. Chaque comédien partage ses origines avec son personnage : même accent, histoire similaire ou du moins à laquelle il peut facilement s’identifier, même culture et mêmes traditions… Et même si l’on ne sait pas précisément d’où ils viennent, on s’en fait une idée d’après leur histoire. On se demande alors où est la frontière entre le jeu et la réalité. Car, arrivés à la fin du spectacle, les comédiens paraissent émoussés, tant physiquement qu’émotionnellement. Il n’y a pas ou peu d’artifice dans la mise en scène de Robert Bouvier. C’est sans doute ce qui rend cette pièce si sincère, si authentique. De spectateur·trice, on se sent devenir un peu voyeur·euse, comme si l’on assistait à un moment d’intimité auquel on n’aurait pas dû être convié. Pourtant, on n’a pas envie que cela s’arrête, et l’on a toujours envie d’en savoir plus sur leurs histoires : que fait le fils de l’un, qu’est-il arrivé à l’autre durant la guerre pour qu’il ne veuille pas en parler ? Pourquoi celui-ci boit-il tous les soirs, alors que celui-là se braque dès qu’on lui parle de prison ? Les questions demeurent, des bribes de réponses nous viennent, mais chacun garde son jardin un peu secret. Car cette intimité, c’est tout ce qu’il leur reste. S’ils en partagent une trop grande part, elle pourrait être perdue à jamais…

Des moments de joie qui nous portent

Le texte de Daniel Keene pourrait être déprimant s’il n’était pas emprunt d’un tel humour. Ainsi, plutôt que de se plaindre, les Cinq Hommes se charrient, se provoquent, partagent des moments autour d’un jeu de cartes au bar. Et ce sont ces moments de joie, pour ne pas sombrer, que l’on retient. C’est aussi grâce au décor que la mise en scène évite l’écueil de la déprime : sur la scène se dresse un mur, au-dessus d’un plancher. De ce mur, certaines briques peuvent être reculées pour figurer le bar ou la chambre que partagent ces hommes. Et c’est là que notre imaginaire entre en scène, comme pour nous rappeler que nous sommes au théâtre et pas en train d’assister à un documentaire. Nous voilà revenus sur terre, et cela fait du bien. Car d’imaginaire, il est bien question dans Cinq Hommes : leurs parcours ne sont pas identiques, tous chaotiques, mais dévoilés par bribes, selon ce qu’ils veulent bien donner aux autres. Et il nous faut rêver pour combler le vide.

Si ce spectacle nous touche autant, c’est aussi parce qu’il ne présente pas de happy end irréaliste. Chacun est là pour un temps, et une fois le travail effectué, ils reprendront tous leur route, pour partir ailleurs gagner plus d’argent ou pour rentrer enfin chez eux, qui sait ? C’est bien d’un moment, d’une période de vie définie dont il s’agit là. Et comme eux, quand les lumières de la salle se rallument après une ovation plus que méritée, nous reprenons notre route, avec dans le cœur et dans nos souvenirs ce moment d’humanité qu’ils nous ont offert.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Cinq Hommes, de Daniel Keene, du 21 au 30 janvier 2022 au Théâtre du Loup.

Mise en scène : Robert Bouvier

Avec Antonio Buil, Dorin Dragos, Hamadoun Kassogué, Abder Loudhaddi et Bartek Sozanski

https://theatreduloup.ch/spectacle/cinq-hommes/

Photos : © Ariane Catton

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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