Comédie musicale lofi à Saint-Gervais
Nous vous en parlions la semaine dernière, le vaisseau de You’re just like a poster s’est posé à Saint-Gervais. Un spectacle en deux parties, qui nous emmène d’une exploration musicale de l’espace à l’intimité d’un repas, pour un contraste surprenant qui fait rêver.
Alors que le rideau s’ouvre, Julie Bugnard et Angèle Colas entament la première chanson du spectacle, en forme de générique électro-pop façon années 80. Elles nous accueillent dans leur univers, qu’on pourrait qualifier de Star Trek musical et féminin. Le duo erre dans l’espace depuis de longues années, à bord de son vaisseau, à la suite d’une catastrophe dont on ne sait pas grand-chose. Mais alors qu’elles visitent la galaxie du Grand Chien, elles tombent sur un drôle d’astéroïde, capable d’enregistrer des ondes sonores. Après décryptage, une nouvelle étape de leur périple stellaire commence ! Le rideau se ferme alors, laissant place à la seconde partie du spectacle, jouée à l’avant-scène, à l’intérieur d’une maison où les deux comédiennes, dans de nouveaux rôles, partagent un repas. De la comédie musicale à la comédie « à la française », il n’y a qu’un pas. Quant au lien à faire entre les deux parties, on ne vous le dévoilera pas ici…
Lofi et mélange de genres
Nous vous l’expliquions lors du reportage, la compagnie Your mom called the other day (but you weren’t home) propose ce qu’elle nomme un théâtre lofi, en revenant à une forme d’essentiel, sans moyens grandiloquents, tout en s’inspirant du cinéma. Leur théâtre s’immisce dans l’écart qui existe entre l’idée et le geste artistique, et c’est dans cet écart qu’il faut chercher toute la beauté de leur démarche. On retrouve ainsi une transposition entre des codes du cinéma et ceux du théâtre. N’ayant pas de micro, sauf pour l’interprétation des chansons, les deux comédiennes parlent fort, en exagérant quelque peu leur articulation. Ce procédé nous rappelle à la fois certains nanars et des comédies de boulevard, où le jeu appuie certains éléments, perdant le côté naturel et sincère, pour apporter une dimension comique.
You’re just like a poster est ainsi toujours à cheval entre le théâtre et le cinéma, mais aussi entre plusieurs genres. Bien sûr, il y a la comédie musicale qui inspire grandement la première partie. Tous les codes des chansons de ce genre, qui existe à la fois sur scène et au cinéma, sont convoqués : on commence avec une forme de générique entraînant, en passant par la séquence émotion illustrant les doutes d’un personnage, avant d’enchaîner avec un morceau ultra-rythmé pour la scène d’action, tout en terminant par une musique douce en forme d’ode à l’amitié. On retrouve également des modèles chers à la science-fiction, avec cet univers futuriste tel qu’imaginé dans les années 80, des bruitages électroniques très reconnaissables et des costumes un peu kitsch… En témoignent les robes roses aux grandes manches et les bottes blanches en similicuir.
Dans la seconde partie, on change radicalement de décor, en se retrouvant dans la sobriété d’un intérieur bien français : une table, deux chaises, une étagère, un tableau accroché au mur, l’évier de la cuisine. On mange, on discute de manière assez plate de ce qu’on est en train de manger, de l’observation des grenouilles – c’est le métier de l’une des deux protagonistes – de la maison de la grand-mère dans laquelle on se trouve… L’ambiance contraste grandement avec la première partie. Alors que celle-ci était très rythmée et accompagnée de nombreux sons, la seconde se veut beaucoup plus lente, avec des répliques entrecoupées de longs silences. De l’action et du suspense du vaisseau, on passe ainsi à une sorte de platitude typique de certains films français qui ne racontent finalement pas grand-chose. C’est ce décalage entre les deux, avec ces dialogues présentant peu d’intérêt et ce phrasé toujours exagéré, qui crée la dimension comique du spectacle.
Amitié et fantasme
En arrière-fond de You’re just like a poster se dégagent deux thématiques importantes : l’amitié et le fantasme – compris dans le sens de rêve. L’amitié se développe ainsi dans les deux parties, notamment au travers de la dernière chanson, une véritable ode à l’amitié, où les deux protagonistes se déclarent mutuellement à quel point elles sont heureuses de vivre cette aventure l’une avec l’autre. La solitude peut peser dans l’espace et l’errance peut plomber le moral, mais c’est bien la présence de l’autre qui leur a permis de tenir durant toutes ces années. Dans la seconde partie, la dimension est plus subtile, mais on la retrouve dans les remerciements que l’une fait à l’autre sur le fait de l’avoir invitée dans la maison de sa grand-mère. Le partage des récits de leurs activités respectives développe également cette thématique : il est toujours appréciable et apprécié d’avoir une oreille attentive lorsqu’on raconte sa journée, son activité et ses passions, même si celles-ci ne sont pas forcément partagées…
Quant au fantasme, il renvoie bien sûr à la première partie et tend, là aussi, vers une dimension universelle : qui n’a pas rêvé, dans son enfance au plus tard, de piloter un vaisseau, d’éviter une pluie d’astéroïdes et de faire de grandes découvertes dans l’espace ? Dans cet univers futuriste qui nous rappelle celui imaginé dans les années 80, les deux protagonistes sont de véritables héroïnes. Un sacré contraste avec les personnages de la seconde partie, dont les vies paraissent nettement moins palpitantes…
La grande histoire qui nous est racontée ici présente donc également une dimension intimiste. Le fait de jouer la seconde partie sur l’avant-scène crée une proximité avec le public, qui plus est dans un espace réduit. La première partie, nous l’avons dit, véhicule des valeurs universelles, comme une forme de retour à l’essentiel. Même dans une grande aventure, qui pourrait changer l’avenir d’un monde postapocalyptique, l’amitié demeure au cœur des préoccupations.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
You’re just like a poster, par la compagnie Your mom called the other day (but you weren’t home), du 20 au 27 mars 2024 au Théâtre Saint-Gervais.
Conception, écriture, chorégraphie, musique : Julie Bugnard, Isabela de Moraes
Mise en scène et jeu : Julie Bugnard, Angèle Colas, Isabela de Moraes
Collaboration artistique : Christian Cordonier, Isumi Grichting
Coach vocal et conseiller musical : Lucien Rouiller
Scénographie : Maged El Sadek
Création lumière : Lauriane Tissot
Création sonore : Tobias Lanz
https://saintgervais.ch/spectacle/youre-juste-like-a-poster/
Photos : © @tiptop_laptop