Les réverbères : arts vivants

Compass, ou l’étrange aventure de deux solitudes en dérive

C’est dans le cadre du festival Les Créatives que Simone Aughterlony et Petra Hrašćanec performent, accompagnées de Saša Božić de l’autre côté du plateau pour un voyage nommé Compass, visible le 15 et 16 novembre 2022 au Théâtre Saint-Gervais.

C’est sur les traces de L’Odyssée d’Homère que le voyage initial débute pour chavirer vers une épopée qui leur est propre et qui, quelque part, rejoint notre histoire personnelle et celle collective.

Sur tapis de danse en craie, les deux performeuses vêtues à un détail près du même costume, offrent des présences puissantes et énigmatiques, frôlant par moment le mythique. Au travers du pouvoir du mouvement, elles proposent une pièce riche en symbolique sur fond de bande son tantôt envoûtante, tantôt angoissante, créée par Hahn Rowe.

Cette pièce parle bien d’un voyage, mais quel est-il ?

La puissance des corps

Si le propos du récit ne ressort pas de manière évidente à l’œil de la spectatrice, cela n’est sûrement pas le cas concernant la beauté du travail physique proposé. Il n’est pas question d’esthétique au sens normé du terme[1], bien que cette proposition scénique renvoie à une esthétique physique. Il est question d’une beauté dans les diverses représentations proposées non seulement du mouvement corporel mais aussi dans la représentation même d’un geste, d’une action, d’une tentative au féminin.

En effet, ce n’est pas le corps en soi qui désaxe de la norme, mais l’intention qui s’y loge derrière, et… que cela fait du bien à voir !

A la frontière des arts

Il est bel est bien question de mouvements dans cette pièce.

Mouvements pluriels qui interrogent les limites des différents domaines des arts vivants mais aussi cette frontière si fine entre réel et fiction.

En effet, tout au long de la performance, les spectateur·ice·s observent ces allers-retours entre deux personnes qui tantôt jouent tantôt se placent dans cette position si particulière qui est d’être soi en représentation.

Mais quel est le sens de ce mouvement ? Je ne l’ai pas trouvé.

Nous sommes en plein cœur de cette grande famille hybride et indéfinissable qu’est la performance.

Les agentes oscillent entre mouvements physiques, intérieurs, extérieurs et mouvements comiques (décalage entre la tension de la situation et l’intention qui se loge derrière le faciès d’une des performeuses), mais la salle ne rit pas. Serait-ce parce que, justement, le référentiel n’est pas clair ?

Actions minimales

Performer renvoie à l’action, à l’effectuation d’une action et de son pouvoir signifiant, et dans Compass, ce passage à l’acte est particulièrement bien choisi.

C’est-à-dire que l’événement, au sens théâtral du terme, n’est pas abondant, mais voulu et porteur de sens. En effet, dans cette pièce de dérive, nous assistons à des enclos de performances auto-suffisants qui ne manquent pas de produire des effets dans la salle.

De plus, les éléments scénographiques tels que : une bâche, une bassine, une tête de bélier s’inscrivent également dans cette recherche du minimum et de l’efficacité. Rien n’est de trop et rien n’est inutile.

Il en est de même sur le travail du regard des artistes.

En effet, cet axe-là est particulièrement fascinant car le regard en soi est une action qui véhicule un sens, à un moment donné particulier et qui, s’il n’était pas effectué, ne permettrait pas d’ouvrir des possibles d’interprétations.

Boussole

Une question demeure : mais où sommes-nous et où allons-nous ?

La pièce se termine par un acte sexuel inachevé. Est-ce notre destination ?

Si Compass ne propose pas d’échouer sur des rives enchanteresses, c’est peut-être parce que notre monde en dérive n’en a pas.

Et, c’est sur ce goût d’impasse que chacun·e rentre chez soi, cherchant le sens et, je l’espère, des envies d’horizons solidaires.

Eva Carla Francesca Gattobigio

Infos pratiques :

Compass, conçu par Simone Aughterlony, Petra Hrašćanec et Saša Božić, au Théâtre Saint-Gervais les 15 et 16 novembre 2022, dans le cadre du Festival Les Créatives

Avec Simone Aughterlony et Petra Hrašćanec

Musique : Hahn Rowe

Photos : ©Renato Mangolin

[1] Norme : Règle, principe, critère auquel se réfère tout jugement. Larousse Ce que l’on attendrait

Eva Carla Francesca Gattobigio

Eva Carla Francesca Gattobigio rencontre le théâtre à l'âge de huit ans avec la compagnie vaudoise Biloko. Puis, elle va à Genève et expérimente une année au Conservatoire d'art dramatique qui va la mener à étudier à l'école professionnelle de théâtre Serge Martin. Elle sort diplômée en 2021 et co-crée la même année le Collectif Wombat et la Cie Giardini Di Marzo. C'est ainsi qu'elle marche sur les impromptus de la vie; avec joie et folies douces.

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