Coup de foudre artistique à La Parfumerie
Avec Dans ma peau, Patti Smith, Martine Corbat adapte librement le roman de Claudine Galea, Le corps plein d’un rêve, pour un trio scénique. Maud Faucherre, Pierre Omer et Julien Israelian s’allient pour donner vie aux mots et déclarer l’admiration, voire l’amour, de l’autrice et de la metteuse en scène pour cette grande figure qu’est Patti Smith.
Derrière le rideau métallique sur lequel seront projetées des images de Patti Smith en concert, Maud Faucherre énonce les premiers mots de Claudine Galea, à travers un micro. Elle y décrit cette adolescente mal dans sa peau, au corps maigre et fragile, dont la voix peine à sortir, et qui découvre un jour celle de Patti Smith. Révélation. Trouvant enfin une figure inspirante à laquelle s’identifier, elle imagine un dialogue sensible et complice avec l’artiste. Dans un savant mélange entre cette discussion fictive et l’évocation de souvenirs de ces deux personnages – Patti Smith, devenue star, et Claudine Galea, de l’adolescence à la libération – elle narre comment cette grande figure de la musique incarne une inspiration qui va bien au-delà de la chanteuse. Dans ma peau, Patti Smith peut dès lors se définir comme une déclaration de sororité, voire d’amour, envers celle qui aura changé une vie et ouvert la voie à l’écriture d’une autrice désormais célèbre.
Dualité salvatrice
Martine Corbat aurait tout à fait pu faire le choix de deux comédiennes pour jouer ce dialogue : Maud Faucherre dans le rôle de Claudine Galea, et elle-même en Patti Smith. Elle a d’ailleurs déjà travaillé et incarné de grandes figures féminines, que ce soit Corinna Bille ou Frida Kahlo au TMG, ou encore Lady Di et d’autres sur les planches du Loup. En toile de fond, il y a d’ailleurs toujours cette dimension d’amour et d’exaltation incarné, de diverses manières, par ces figures. Pourtant, dans ce spectacle, la metteuse en scène choisit de confier les deux rôles à Maud Faucherre, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela convainc totalement !
Il faut d’abord évoquer ce qui saute aux yeux : le jeu de l’actrice. Maud Faucherre alterne magnifiquement entre les deux figures, modifiant sa voix et ses attitudes : tout en douceur et dégageant la candeur de l’adolescence lorsqu’elle incarne la jeune femme ; plus rauque et prononcée dans un subtil mélange entre anglais et français lorsqu’elle est Patti Smith. Le tout sans tomber dans la schizophrénie, même lorsque la frontière entre les deux figures se fait très fine. Ce choix donne également tout son sens au titre du spectacle : Dans ma peau, Patti Smith. La chanteuse est ainsi présente constamment dans les pensées, dans le corps même de celle qui narre son histoire, pour nous montrer à quel point elle a marqué sa vie. Martine Corbat l’évoquait d’ailleurs en préambule du spectacle, face au public : on a toutes et tous, un jour, ressenti un immense coup de cœur pour un·e artiste, chanteur·se, acteur·ice, écrivain·e, qui nous a marqué·e à jamais. Le fait de faire jouer les deux personnages par la même comédienne accentue aussi la dimension imaginaire du dialogue, avec cette forme, peut-être d’idéalisation de cette figure, mais surtout ce besoin de se raccrocher à quelque chose pour s’accepter et se développer, en pleine crise d’adolescence. Patti Smith et la narratrice deviennent ainsi totalement indissociables l’une de l’autre, comme si elles se soutenaient mutuellement, comme si Patti Smith pouvait ainsi revenir sur son parcours, ses engagements, sa carrière… Et surtout les différentes figures qu’elle incarne. Car Patti Smith n’est pas qu’une chanteuse, c’est aussi une mère, une femme engagée, une icône, une Lady, comme le dit elle-même Martine Corbat. En s’appuyant sur le roman de Claudine Galea, elle nous dévoile aussi comment la star l’a inspirée, elle, au plus profond de son être.
Scénographie et musique au service du propos
Cette dualité qui parcourt toute la pièce se retrouve aussi dans la scénographie. Il y a d’abord ce grand rideau métallique, qui permet de projeter des images de Patti Smith, mais aussi de partager certains moments derrière, notamment lorsque le discours est plus intérieur, plus intime, plus réflexif. On aperçoit d’ailleurs l’adolescente incarnée par Maud Faucherre, dans la scène d’ouverture, reproduire le même mouvement d’épaule que Patti Smith, comme un indice de la proximité entre les deux qui sera développée durant un peu plus d’une heure sur la scène. Surtout, l’espace scénique devant ce rideau se compose de deux parties, a priori bien distinctes. À jardin, les instruments des deux musiciens rappellent une scène de concert, ou un studio d’enregistrement. À cour, c’est une dimension plus intimiste qui est montrée, avec ce radio cassette sur lequel on écoute, aussi, Jane Birkin ou Françoise Hardy ; ces livres posés en pagaille dont on nous partage un ou deux extraits, symboles de souvenirs plus personnels. Pour lier les deux, un micro sur pied trône au centre du plateau, micro dans lequel Patti Smith s’exprimera, chantera, dans les moments les plus flamboyants du spectacle. Petit à petit, au sol, des mots seront marqués à la craie, faisant disparaître la séparation entre les deux espaces. On aperçoit des paroles de chansons, des extraits de Virginia Woolf, marquante elle aussi dans ce parcours, ou encore l’expression « antre de la sorcière », que la mère de l’adolescente avait marqué sur la porte de la chambre de celle-ci…
De dualité, il en est enfin question dans la musique, jouée live sur scène. On retrouve ainsi deux musiciens : Pierre Omer à la guitare, au piano et au chant ; Julien Israelian avec différentes formes de percussions. Ensemble, ils réarrangent certains morceaux connus, ou en rejouent la mélodie. Mention spéciale d’ailleurs pour le travail autour de « Pastime Paradise », qui résonne particulièrement dans ce spectacle. Avec leur accompagnement musical, ils donnent toute la teneur dramatique qu’il faut à certaines scènes, jouant notamment sur des sons de distorsion (sans pédale, on vous laisse découvrir comment !), ou sur des sonorités très rock lorsque la voix de Patti Smith aide à sortir celle de Claudine Galea. Ils entrent ainsi véritablement dans ce dialogue, qui devient aussi celui de la musique avec les mots, et celui de la comédienne Maud Faucherre avec ces deux artistes de talent. Pour former, encore une fois, un tout indissociable.
Difficile, donc, de résumer Dans ma peau, Patti Smith en quelques mots. On pourra vous dire que c’est une déclaration d’amour, un hommage – de son vivant – à une figure marquante à bien des égards, une parole universelle dans laquelle on peut toutes et tous se retrouver, en pensant à différent·e·s artistes, un moment suspendu, un spectacle onirique, inspirant… À chacun·e de trouver la formule qui lui conviendra le mieux. Ce qu’on peut dire, au minimum, c’est que, à la manière dont Patti Smith a changé la vie de Claudine Galea et celle de Martine Corbat, cette splendide performance ne peur laisser indifférent·e, et marque pour un moment.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Dans ma peau, Patti Smith, d’après le roman Le corps plein d’un rêve, de Claudine Galea, du 25 mars au 13 avril 2025 à La Parfumerie.
Mise en scène : Martine Corbat
Avec Maud Faucherre et les musiciens Julien Israelian et Pierre Omer
https://www.laparfumerie.ch/evenement/dansmapeau/
Photos : ©Dorothée Thébert