Crise familiale sur fond de crise migratoire
Mélange entre drame et comédie, le nouveau film de Lionel Baier, La dérive des continents (au Sud), parle de l’échec de l’Union Européenne face à la crise migratoire. Un projet audacieux pour un résultat mitigé, qui fonctionne mais pêche par manque de finesse.
Nathalie Adler (Isabelle Carré) est en mission en Sicile dans un camp de migrants. Notamment chargée d’organiser la visite du couple franco-allemand (Emmanuel Macron et Angela Merkel), avec les deux délégué·e·s, Charles-Antoine (Tom Villa) et Ute (Ursina Lardi), avec qui elle doit bien composer… Ceux-ci insistent pour mettre en scène la misère et ainsi montrer comment les deux chef·fe·s d’État réagiront après leur passage pour améliorer les conditions. Seulement voilà, tout ne se passe pas comme prévu, et quand Nathalie découvre que son fils Albert (Théodore Pellerin), qu’elle n’a pas vu depuis ses 12 ans, travaille au sein du camp pour une ONG, cela annonce des retrouvailles détonantes. Et la relation qu’elle entretient avec Ute ne fera rien pour arranger les choses…
Les dessous des crises
Le film de Lionel Baier illustre l’ampleur de la crise migratoire et la façon dont l’UE est totalement dépassée. Pour preuve, ce hangar rempli de fiches d’identification des migrants et toujours pas classées. Des milliers de dossiers en attente, en raison de l’obsolescence du système informatique à leur arrivée… La mise en scène voulue par Charles-Antoine et Ute va également dans ce sens : alors que les conditions dans le camp sont plus que correctes – il faut bien le reconnaître – avec des bâtiments tout à fait salubres, des espaces de jeux et un cadre de vie plus qu’acceptable, les deux délégué·e·s insistent pour montrer une autre image à la télévision. Ainsi, il faut replacer les migrants dans une partie insalubre et abandonnée qui doit être rénovée, ou encore sous des tentes au milieu des déchets. Une image loin de la réalité, mais qui donnera bonne conscience aux politiques, puisque tout sera « amélioré » à la suite de leur visite. Lionel Baier dénonce par ce biais les manipulations visant à obtenir des voix. Si on pouvait s’en douter, on en a ici une parfaite illustration, car on ne doute pas que tout cela a été inventé et qu’il s’est documenté avant de montrer de telles situations à l’écran…
Mais cette crise migratoire passe rapidement au second plan, lorsque la crise familiale entre Nathalie et Albert prend plus d’ampleur. On apprend bien vite que Nathalie est partie lorsqu’Albert avait douze ans, et qu’il ne souhaitait plus la voir. La raison ? Elle a pris conscience qu’elle aimait les femmes et a donc quitté son mari, le père d’Albert, ce que le jeune homme n’a pas supporté. Bien sûr, la réalité est plus complexe et on en apprend un peu plus au fil de l’avancée du film. Au-delà de cela, Albert est devenu un idéaliste, entre écologie et situation des migrants, qui cherche à dénoncer les travers des organisations internationales et de la politique. Mais il s’avère qu’il est moins irréprochable qu’il n’y paraît de prime abord… Une illustration des limites de la bien-pensance face aux complexités de la réalité.
Des personnages stéréotypes pour une comédie audacieuse
Si le sujet principal du film est grave, Lionel Baier choisit pourtant de présenter son film comme une comédie. Un pari audacieux, mais comment faire pour donner un aspect léger à de telles thématiques ? Le réalisateur s’appuie sur des personnages aux caractères stéréotypés. Un aspect particulièrement appuyé par Charles-Antoine : avec ses airs hautains, son parler parisien et cette impression que les avis français sont toujours meilleurs que ceux des autres, il devient un personnage qu’on adore détester et qui fait rire – ou qu’on déteste tout court, (oui, j’avoue !). Albert aurait pu, lui aussi, être plus profond : il est le prototype du jeune idéaliste qui veut améliorer toutes les situations, qu’elles soient liées au racisme, à l’accueil des migrants ou encore à l’écologie, sans vraiment écouter les arguments des autres. Brisé par son expérience de jeunesse, il justifie ses travers – voler dans la caisse de la mosquée par exemple – par son envie d’aider et la promesse de tout rembourser. Un cliché, vous avez dit ? On pourrait continuer à détailler, mais ces deux exemples sont sans doute les plus flagrants.
Au final, le sentiment à la sortie de la séance est mitigé : si les mécaniques fonctionnent et feront sans doute rire la majorité du public, on ne peut s’empêcher de penser que, malgré les apparences, La dérive des continents (au Sud) ne propose finalement rien de très original, utilisant quelques astuces parfois un peu grosses, comme cette météorite sortie de nulle part et qui s’écrase sur la voiture de Nathalie, l’obligeant elle et son fils à passer du temps malgré eux, contribuant à régler leurs soucis et enfin se parler à cœur ouvert… La dérive des continents (au Sud) est doté d’un scénario qui se tient et dénonce bien ce qu’il veut dénoncer, mais pêche quelque peu par un manque de finesse dans le côté comédie.
Fabien Imhof
Référence : La dérive des continents (au Sud), de Lionel Baier, avec Isabelle Carré, Tom Villa, Ursina Lardi, Théodore Pellerin…, France, sortie en salles le 21 septembre 2022.
Photo : © DR