Les réverbères : arts vivants

Dans la Charrette ! de Simon Romang

Au Crève-Cœur, l’humoriste Simon Romang nous fait rire, dans un seul-en-scène tendre et sarcastique, où il brocarde son propre parcours, son histoire familiale et quelques-uns des travers les plus caricaturaux de notre monde contemporain. De la Suisse Romande à New York, Charrette ! fleure bon l’accent vaudois, du 17 au 29 mai… et ça fait du bien !

Le canton de Vaud, on le connaît pour son vin et son Lavaux, son papet, sa Fête des Vignerons et son bon sens. On le connaît aussi pour ses humoristes – souvent moins forts en gueule que les Genevois (quoique…), qui aiment volontiers rire des autres… mais aussi d’eux-mêmes. En vrac, on tirera son chapeau à des artistes comme Gilles et Urfer, François Silvant (et sa Madame Pahud) ou encore Yann Marguet.

Il ne s’agira pas ici de chercher des filiations strictes, mais plutôt de souligner le vivier au sein duquel Simon Romang inscrit son dernier spectacle, Charrette !. Dès l’abord, il nous prévient : ici, on est à Cologny, au Crève-Cœur… pourtant l’accent qui flotte dans la salle est irrévocablement vaudois, tout comme l’enchaînement des histoires, toutes teintées d’un pragmatisme patient qui aime l’autodérision.

Le Major Davel dans la marmite de Royaume

Le décor est posé par les quelques accessoires présents sur scène : une table de bois, une chaise sculptée comme on en trouve dans les fermes, un balai, un pichet d’eau en céramique, un verre… Simon Romang arrive sur scène, bêche à la main. Lorsque l’Hymne vaudois résonne, il se met au garde-à-vous… guettant la fin de la musique avec une impatience maladroite. Aucune parole, encore, mais on rit déjà, rien qu’aux postures et aux regards.

Cette entrée en matière faussement patriotique permet de glisser sans heurt dans le spectacle. Simon Romang trace aussitôt le parallèle entre ses origines vaudoises et le lieu dans lequel il se trouve – le canton de Genève. Tandis que les Genevois se rengorgent avec leur Escalade et leur Mère Royaume (ainsi que toutes les célébrations qui vont avec), les Vaudois doivent eux se contenter, bien modestement, d’un héros cantonal plus discret : le Major Abraham Davel, « celui qui a eu l’idée de la révolution, mais qui n’a pas réussi à la faire ! » En 1723, Davel a voulu s’opposer aux Bernois, alors maîtres du pays de Vaud… hélas, dénoncé, il a été emprisonné et condamné à mort avant de réussir à fomenter sa révolte !

Jean-Jacques, José, Chipelou et les taureaux

Après son canton, c’est sa propre histoire familiale que Simon Romang reconstruit pour nous : son père, Jean-Jacques, Vaudois bonhomme, paysan et éleveur de taureaux. Adepte de la politique du « pratique et pas cher », Jean-Jacques ne voit pas l’intérêt d’agrandir son exploitation, préférant travailler seul et se contenter de peu. Entre tendresse et ironie douce, Simon Romang prête sa voix à ce père qui, malgré son caractère terre-à-terre, a visiblement légué beaucoup à son fils. Vient ensuite la mère (qu’on m’excuse, j’ai oublié son prénom !), qui déteste faire la poussière et s’avère plus idéaliste que son époux : « Ah mais Jean-Jacques, ne va pas brimer la créativité de Chipelou ! » Chipelou, c’est le surnom de Simon Romang, un des plus jeunes de la fratrie. On s’amuse, lorsque sa mère le reprend avec un peu de reproche : « Franchement, Chipelou, je trouve que tu ne m’imites pas bien. De quoi je vais avoir l’air, dans ton spectacle ? » Sans connaître l’original, on rit, avec la même tendresse que Simon Romang réserve à ses personnages – pas si personnages que ça, d’ailleurs, puisqu’ils et elles existent bel et bien.

Dans la galerie brossée par Charrette ! se trouvent encore José (l’ouvrier espagnol sans papiers « hébergé » par Jean-Jacques), ou encore les enseignantes et enseignants un peu utopistes de l’école Steiner, que Chipelou-Romang fréquente dans son enfance.

D’Apples à Big Apple

Les moments les plus croustillants de ce seul-en-scène s’inscrivent en marge du parcours personnel brossé par Romang. Tandis qu’il nous décrit son adolescence et sa vie de jeune adulte, marquée notamment par un passage par Paris et le cours Florent, mais aussi par New York et une école de danse, l’humoriste consacre sa plus belle énergie à la relecture de certaines tendances de notre monde contemporain.

Le voilà ainsi à confesser ses tentatives pour devenir végétarien, par conscience écologique… un échec, pour ce fils d’agriculteur qui aime trop la viande et serait prêt à dévorer un taureau directement sur pattes ! La satire, qui flirte avec les bornes du parodique, fait rire parce qu’elle nous renvoie sans complaisance à nous-mêmes – à nos bonnes résolutions parfois (souvent) trop mal tenues. Qu’on ne s’offusque pas : on caricature, mais c’est sans méchanceté !

Toute aussi truculente se révèle la scène consacrée aux retraites de jeûne, où se croisent bobos citadins en mal d’expériences véganes et cinquantenaires qui ont décidé de revoir leur orientation professionnelle (en s’instituant, à tout hasard, chamanes en développement personnel). Là, c’est sûr, on pourrait accuser Romang d’y aller trop franchement, de ne pas saisir les nuances… pourtant, quand on navigue un peu sur les réseaux sociaux et qu’on suit des publications toutes embaumées de ce type de discours, on se dit que l’humour n’est pas si loin de la réalité.

D’Apples (dans le canton de Vaud) à Big Apple (la bien-nommée Grosse Pomme new-yorkaise), Simon Romang navigue à travers sa propre vie, sans perdre son cap et pour notre plus grand plaisir. On espère le retrouver bientôt, sur une scène ou une autre… peut-être dans ce spectacle qu’il nous a promis et dans lequel il devrait nous narrer son expérience en tant que prof de Pilates ? ABE et adieu Simon, comme disent les Vaudois !

Magali Bossi

Infos pratiques :

Charrette !, de Simon Romang et Georges Guerreiro, du 17 au 29 mai au Théâtre Le Crève-Cœur.

Mise en scène : Georges Guerreiro

Avec Simon Romang.

https://lecrevecoeur.ch/spectacle/charrette-2/

https://simonromang.ch/ (N’hésitez pas à vous régaler avec le teaser du spectacle !)

Photo : © Thierry Porchet

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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