Les réverbères : arts vivants

Dans la poésie intime de Penna

Sandro Penna est l’un des plus célèbres poètes italiens. Pourtant, dans nos contrées francophones, il demeure méconnu. Le voyageur insomniaque, à voir au Théâtre 2·21 jusqu’au 30 janvier, nous emmène à sa rencontre, dans un monologue intime et musical.

Porter la poésie sur un plateau de théâtre est loin d’être une tâche aisée. Sur la scène du 2·21, le poète incarné par Jean-Luc Borgeat gît, couché et couvert d’un voile. La voix-off de Pierre-Antoine Dubey résonne : il est une molécule, celle qui a contribué à la mort à petit feu de Sandro Penna. S’estompant petit à petit, elle laisse la place aux mots du poète, qui raconte sa vie, déclame ses vers, parle de son amour pour le cinéma de Pasolini et à quel point il exècre Visconti… Ses amours, les critiques qui lui ont été faites, la manière dont il va marquer la postérité : autant d’éléments qui composent ce spectacle sans véritable structure narrative. Ne reste plus qu’à nous laisser porter…

Une mise en scène poétique

Pour rendre hommage à un tel monument de la poésie, il fallait que la mise en scène accompagne le texte avec justesse. Tout commence ainsi dans le noir, avec quelques vers enregistrés en italien, puis la voix de la molécule. Les lumières s’allument à peine, et dans la pénombre, le poète mort s’adresse à nous tel un songe, un souvenir, sous son voile qui ne laisse pas apparaître son visage. Au fil de la pièce, les lumières deviennent plus intenses, en suivant les mots et la vigueur retrouvée de Sandro Penna. Les intermèdes musicaux, de Carmen à Charles Trenet, en passant par des morceaux de grands compositeurs italiens, créent une ambiance sonore et des pauses bienvenues dans les méandres de la mémoire du poète. On respire ainsi, le temps d’appréhender les vers parfois mystérieux de prime abord, qui nous ont été récités.

L’élément principal de la scénographie demeure cet immense voile, sous lequel Sandro Penna réincarné nous parle. Cela nous évoque bien sûr le fantôme qu’il est, comme dans les représentations enfantines, où ils sont couverts d’un drap. Si l’on va plus loin, cela nous évoque le mystère, la distance entre lui et nous, comme un filtre. Distance temporelle d’abord, puisqu’il est mort en 1977, distance de mœurs aussi, lui qui est souvent surnommé le « poète pédéraste » en raison de son amour pour les jeunes corps masculins. Un plaisir qui n’était pas très bien vu à l’époque et lui a valu de nombreuses critiques. Et lorsqu’il sort de son voile, on retrouve toute la grandiloquence de cet être majestueux. La voix de Jean-Luc Borgeat porte, avec toute la conviction qu’ils méritent, les mots de Sandro Penna. Avant de retourner sous son voile, dans sa tombe, retrouver le silence de la mort.

Un personnage complexe à découvrir

Sur scène, Sandro Penna semble souvent pencher vers un côté sombre, avec des paroles de ci de là désabusées sur le monde littéraire dont il se tient volontiers à l’écart. Certains de ses vers témoignent d’ailleurs d’une certaine mélancolie face à la vie :

La vie… c’est le souvenir d’un réveil triste
dans un train à l’aube : d’avoir vu
dehors la lumière qui tremble : d’avoir entendu
dans le corps en pièces l’âpre et vierge
mélancolie de l’air qui pique.

Parallèlement se dégage de ses mots une joie de vivre, appuyée par les quelques rires – souvent narquois – à la fin de certains de ses mots. La lumière semble d’ailleurs jaillir de lui quand il parle de ses amours, notamment des jeunes hommes dont il partageait le goût avec son ami Pasolini ; ou encore lorsqu’il parle de Black, le chien qui a partagé une partie de ses jours. Il évoquera souvent le souvenir de Raffaele, âgé de quatorze ans alors que Sandro Penna était dans la cinquantaine… Une relation qui nous apparaît aujourd’hui scandaleuse et qui a pourtant duré de nombreuses années. Amours singulières, désir partagé, un contexte particulier pour justifier cette relation. Et les vers qui en découlent de contraster fortement avec les précédents :

Mais le souvenir soudain d’une libération
est encore plus doux, à mes côtés
un jeune marin : bleu et blanc
son uniforme et au-delà de la vitre
une mer toute fraîche de couleur

Sandro Penna, un poète à part, à découvrir donc au Théâtre 2·21 de Lausanne, porté par un Jean-Luc Borgeat au sommet de son art.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le voyageur insomniaque (Sandro Penna), une pièce-paysage de Pierre Lepori par la Cie TT3, dans le cadre de Singuliers Pluriel III, du 25 au 30 janvier 2021 au Théâtre 2·21.

Mise en scène : Pierre Lepori

Avec Jean-Luc Borgeat et Pierre-Antoine Dubey (voix)

https://www.theatre221.ch/spectacle/427/le-voyageur-insomniaque-sandro-penna

Photos : © Didier Varrin

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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