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Autoportrait : Définitions en miroir

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Cloé Bellamy qui vous embarque à la découverte d’elle-même… dans une forme qui joue avec le miroir et la mise en page. Bonne lecture !

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Il arrive un moment où la parole est nouée. Les mots manquent, se dérobent et se défilent ; ils s’en vont pour ne plus revenir. C’est un instant qui s’étire à l’infini, mais aussi un abri, un petit nid douillet qu’un oisillon ne voudrait quitter, une chaleur accompagnée du crépitement des flammes dans l’âtre d’une cheminée, alors que le regard s’y perd. Elles paraissent violentes et déchaînées, animées par une colère que seul le bois qu’elles consument est capable de connaître. Pourtant, leur chaleur est apaisante et tranquille. Il arrive un moment où la violence des flammes disparaît, où la peur des mots suspendus dans les airs n’est plus et où l’on peut s’installer confortablement dans ce qui demeure après la fuite des mots. La parole n’est plus nécessaire et l’on peut rester là, rien que nous. La simple présence de l’autre est un don, un repos, un refuge. Les mots n’ont plus lieu d’être : Silence

Le Phénix hurle. Les flammes brûlent ses chairs et les plumes qu’il a mis tant de temps à faire pousser. Il change, se transforme en quelque chose d’autre, d’inconnu et étranger. Mais souhaitait-il vraiment renaître de ses cendres ? N’aurait-il pas voulu que tout s’arrête là pour s’épargner la douleur ? Choix cornélien, question épineuse, la métamorphose ne germe que dans la souffrance. La graine est plantée, la fleur éclot et ses pétales s’ouvrent. Renaissance, joie et amitié sortent des cendres fertiles du phénix. Maintenant, je sais que les plumes du phénix ne sont ni rouges, ni jaunes, ni orangées. Peut-être garderai-je leur couleur secrète ? : Rose

Il y a une femme dans le train. Elle est assise à quelques sièges de moi, en train de rire, penchée sur une inconnue avec qui elle s’est mise à discuter. Quelqu’un s’étonne : « Vous n’êtes pas ensemble ? » Non, elles ne se connaissent pas. Il se fait tard et le wagon est plein.

Les panneaux indicatifs sont éteints.

Il y a une deuxième femme dans le train. Elle se lève, inquiète, et demande : « Coppet ? » Peut-être l’homme a-t-il répondu en étant trop hésitant ? Elle se retourne, redemande à quelqu’un d’autre : « Coppet ? » On lui répond encore une fois, oui c’est Coppet, oui, c’était

Coppet et les portes du train se referment devant elle. Elle se rassied.

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La première femme interrompt sa conversation. « Je regarde les horaires du train pour cette pauvre dame. » Elle se lève et se dirige vers elle. « Regardez, vous descendez à Nyon, vous passez sous la gare et ensuite, vous changez de voie. » L’échange est bref, elles se remercient.

La première femme descend en même temps que moi. J’attends, je laisse les autres voyageurs passer devant moi et je me place derrière elle. Je veux la remercier pour son humanité, pour le petit moment où elle a rendu ce monde meilleur. « Vous êtes une belle personne. » La surprise, puis la joie se dessinent sur son visage. Elle balbutie et je remarque les rides de sourire autour de ses yeux. Elle me remercie et murmure pour elle-même que, ça alors, elle en parlera de cela.

Des heures plus tard, je suis tourmentée. Je n’arrive pas à me souvenir. Ai-je vraiment abordé cette vieille femme ainsi ? Ai-je seulement pensé à lui dire bonsoir ? : Politesse

Voici, mesdames, messieurs et astronautes en tout genre, le désert le plus habité que je connaisse. Je pense, d’ailleurs, que vous y passez tous un certain temps et… Oh, je m’excuse, mon téléphone sonne. Allo ? Est-ce que vous me recevez ? Comment ça, ici la Terre ? Non, bien sûr que non je ne suis pas disponible, je suis très occupée ! Comment ça, à quoi ? Ne voyez-vous pas par vous-même ? Je suis bien sûr en train de rêver ! : Lune

Début avril, les œufs éclosent et les têtards se rassemblent en masse. Dans les étangs ou les flaques d’eau, ils abondent, prêts à grandir : leurs membres apparaissent et leur queue se résorbe. Leur destin est de devenir des crapauds ou autre pelophylax adultes. Certains enfants passent aussi par une telle phase animale. Allongé sur le ventre, les genoux remontés, l’enfant prématuré ressemble étrangement à un certain batracien : Grenouille

Il s’agit d’une promesse. L’humanité et l’entraide existent, nous pouvons être une communauté, nous rappeler que nous venons de la même Terre, que nous pouvons être solidaires, que j’ai la capacité d’aimer : Anarchie

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La déesse se lamente de la perte de sa fille. Pendant ce temps, il faut bien cultiver son jardin, et s’atteler à ce verger verdoyant : Déméter

Une petite rébellion secrète. Oui, je connais. Non, je ne l’ai pas lu. Oui, il est sur mon étagère : Bel – Ami

Définitions en miroir / riorim ne snoitinifèD

Cloé Bellamy

BA7 : Atelier d’écriture. Définitions détournées I.

Ce texte est tiré de la volée 2021-2022, animée par Magali Bossi et Natacha Allet.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier
ICI.

Photo : © WolfBlur

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