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Dans ma hotte à lectures… des bouquins romanesques !

Vous ne savez pas quoi demander au Père Noël ? Vous cherchez un cadeau parfait à mettre sous le sapin ? Je vous propose une série d’articles de saison, intitulée « Dans ma hotte à lectures ». Au programme ? Plein d’idées de livres à (re)découvrir, dans des styles très différents. Aujourd’hui, c’est vers le roman qu’on s’embarque !

Francine Wohnlich, Sous ton feuillage (Éditions Encre Fraîche)

« Clémence contemple les mauvaises herbes qui la narguent. Sitôt qu’elle les aura arrachées, racine par racine, les vents vont enfler et les feuilles mortes vont pleuvoir. Elle n’est pas au bout de ses peines, ça non. Ils ont quitté l’ornière, une fois encore, mais elle irait bien s’allonger parmi les vilaines, au moins le temps de reprendre des forces. » (p. 35)

C’est par une séparation que s’ouvre Sous le feuillage. Celle qui a fait bifurquer les chemins de Clémence et Ivo. C’est elle qui a décidé de partir, car elle ne le supportait plus. Elle étouffait, comme une plante dans un terrain trop sec – un arbre qui n’arrive plus à étendre ses branches, ni ses racines. De saison en saison, la voici qui remonte le fil de leur histoire, pour tenter de comprendre pourquoi. Pourquoi les relations entre les êtres connaissent-elles souvent un destin similaire à celui des feuilles – bourgeons remplis d’espérances, feuillages débordant de vie… bientôt craquants sous les frimas et les fracas, avant d’être soufflés définitivement par l’hiver ?

Francine Wohnlich ne prétend certainement pas apporter une réponse univoque. Elle préfère dessiner, au gré d’une plume qui hésite souvent entre continuité romanesque et ténuité de la notation, des microcosmes relationnels où évoluent ses personnages – l’indécise Clémence (qui finit pourtant par décider) ; le colérique Ivo (borderline sur les bords) ; Bertil, l’ami de Clémence qui traîne une lourde histoire familiale ; Madenn et Ludovic, les enfants d’Ivo qui aspirent à voler de leurs propres ailes et à défendre leurs propres opinions… On émerge du feuillage avec une impression douce-amère – celle de ne pas avoir trouvé les réponses qu’on attendait… mais d’avoir compris que l’essentiel était ailleurs.

Stéphanie Glassey, Confidences assassines (Plaisir de Lire)

« Parce qu’elle s’y offrait entièrement, la terre la guidait. Parce qu’elle s’y abandonnait sans méfiance, celle-ci nourrissait son corps et inspirait ses rêves. Éloïse sentait que le ciel était son père et la terre sa mère. Elle se savait sœur des étoiles et des arbres, profondément reliée à la pierre et à la rivière. » (p. 83)

Au pays du polar, le Valais est certainement le roi ! Avec ses hautes montagnes, ses vals profonds, ses forêts impénétrables et ses secrets bien gardés, il titille l’imagination romanesque… à commencer par celle de l’autrice Stéphanie Glassey, qui en 2019 a signé son premier roman : Confidences assassines.

L’intrigue a de quoi nous mettre en haleine puisqu’à la veille de Noël, dans le village montagnard de Basse-Nendaz, on vient de retrouver le cadavre de Juliette, l’épicière. Qui a fait le coup ? Tout désigne Aline, la dernière personne à avoir approché la victime. Elle avoue d’ailleurs son crime, avant de s’immoler par le feu ! L’affaire semble donc réglée… mais ce n’est évidemment pas si simple. Jane, collègue et amie d’Aline, décide d’enquêter avec son amie Charlotte. Le duo est bientôt rejoint par Léon, leur ancien professeur à l’humeur assez sombre, grand amateur de vin. Peu à peu, c’est une vérité plus complexe qui apparaît, sur fond de rumeurs villageoises et vente de terrain douteuse…

La grande particularité de Confidences assassines est de mêler passé et présent : le fin mot de l’affaire est en effet à chercher au début du XXe siècle, au sein d’une histoire familiale liée à Adèle et à sa mère, Éloïse, deux femmes malmenées par la vie, les conventions et le cloisonnement social de leur temps. Ce n’est pas tant la bascule entre passé et présent qui rend le travail de Stéphanie Glassey fascinant ; c’est plutôt la manière dont elle fait revivre l’histoire d’une région, à travers les personnages d’Adèle et d’Éloïse, en mettant l’accent non seulement sur la condition des femmes mais aussi sur la toxicité de certaines relations familiales et la présence d’un système de croyances plus animiste, tourné vers la nature. Les pages consacrées à la destinée d’Eloïse, fille-mère contrainte de se réfugier dans la montagne, sont sans doute les plus bouleversantes de ce long roman… tout comme celles décrivant la psychologie implacable d’Adèle, contrainte pour survivre de devenir aussi dure que la roche des monts. À lire – en n’oubliant pas de fermer la porte à clef et de garder une lumière allumée !

Stéphanie Glassey, La dernière danse des lucioles (Plaisir de Lire)

« D’une région d’elle-même inconnue jusqu’alors, une certitude serpenta jusqu’à sa conscience : il lui fallait rassembler les éléments qui l’avaient conduite à sa perte. Elle devait les embrasser de ce regard d’amour pur qu’elle portait à présent sur le monde, afin de les affranchir de leur charge négative. Ce faisant, elle œuvrerait à sa libération et à celle des siens. » (p. 47)

Avec La dernière danse des lucioles, Stéphanie Glassey quitte le Valais du début du siècle pour nous transporter dans une atmosphère que nous avons probablement toutes et tous encore en tête : nous voici au printemps 2020, en pleine fermeture liée à la pandémie de COVID-19. Quatre couples d’amis vont se retrouver impliqués dans le plus tragique des événements : au cours d’une soirée disco organisée par visio-conférence, Laurie est assassinée ! L’enquête fera ressurgir l’histoire commune qui lient les quatre couples… mais également des secrets que Laurie et Sylvain avaient gardés pour eux, et qui auront une importance décisive.

Ce n’est pas vraiment le fin mot de l’intrigue qui fait la plus grande originalité de La dernière danse des lucioles – mais deux éléments bien moins attendus. Son cadre temporel, tout d’abord : personnellement, c’est le premier « ouvrage de confinement » (ou ouvrage consacré au confinement) que je lisais… et je dois dire que je ne pensais pas voir traitée cette période si morose dans un polar qui tient en haleine ! Pourtant, force est de constater que le huis-clos imposé que nous avons vécu a de grandes potentialités romanesques… et policières. Néanmoins, c’est surtout la mise en parallèle entre l’enquête, les relations inter-personnages et le monologue intérieur de Laurie qui rend la structure de ce roman intéressante à mes yeux. Car oui, Laurie a beau être morte, elle suit l’avancée de l’histoire de A à Z : depuis les limbes, elle se questionne sur ses choix, ceux de ses proches et tente de les aider à se reconstruire. À ce titre, La dernière danse des lucioles se présente comme un polar cathartique, une manière d’aider à la reconstruction non seulement de ses personnages, mais peut-être aussi de son lectorat – une façon de nous aider, en somme, à réparer ce qui est un peu bancal dans nos vies.

C’était le dernier numéro de « Dans ma hotte à lectures » !
Joyeux Noël à tous·x·tes !

Magali Bossi

Références :

Francine Wohnlich, Sous ton feuillage, Genève, Encre Fraîche, 2022, 166p.

Stéphanie Glassey, Confidences assassines, Pully, Plaisir de lire, 2019, 658p.

Stéphanie Glassey, La dernière danse des lucioles, Pully, Plaisir de lire, 2019, 253p.

Photo : © Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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