De fado en saudade pour rendre hommage à ses origines

Héritage de l’exil. C’est ainsi qu’on pourrait résumer le premier seule-en-scène de Virginie Janelas, Je n’ai pas de remède au vent. Au 2.21 de Lausanne, elle nous emmène dans son histoire familiale, et à travers ça dans la grande histoire des exilés.

Virginie Janelas est née en Suisse, d’un père portugais qui a connu Salazar et la révolution des Œillets de 1974. Pour une situation meilleure, ou non ? Quelle que soit la réponse à cette question, elle narre l’exil de son père, l’enfance de celui-ci auprès de sa tante après le décès de sa mère, la nécessité de laisser son fils pour quitter le pays, pour un voyage vers l’Allemagne puis la Suisse, avec toutes les galères que cela entraîne… Tout en paroles et en musique, accompagnée de divers instruments à cordes et de son synthé, Virginie Janelas nous emmène dans un fado, où français et portugais se mélange, où douceur et puissance vocale s’entremêlent pour nous baigner dans un tourbillon d’émotions.

Le fado pour exprimer

Dans ce spectacle, Virginie Janelas manie la saudade. Ce terme portugais, impossible à traduire exactement en français, désigne un sentiment complexe, où se mêlent  à la fois mélancolie, nostalgie et espoir. De quoi décrire parfaitement les sentiments du père, dont elle hérite inévitablement. Tout au long du spectacle, les émotions se mélangent : on rit devant la tante si forte qui s’oppose aux accusations de communisme ; on est touché par cette improbable amitié entre le père et un chauffeur de camion allemand ; on pleure à la mort de la grand-mère, quand le père voit sa relation à Dieu changer du tout au tout ; on partage l’espoir apporté par la révolution des Œillets et cette musique de Beethoven qui résonne enfin à la radio, en pleine nuit…

La meilleure manière d’exprimer ce sentiment est le fado. Ce chant populaire urbain, typiquement portugais, mêle musique et poésie. Ce que parvient parfaitement à faire Virginie Janelas, avec un texte particulièrement poétique. Le spectacle s’inscrit d’ailleurs dans le cadre du cabaret littéraire, présenté chaque année, avec sept soirée au fil de la saison. Virgini Janelas a remporté l’an dernier la bourse proposée par ce cabaret, qui l’a donc aidée à construire et monter ce spectacle. La volonté est de pousser la littérature hors des livres, de la porter à la scène. Je n’ai pas de remède au vent, avec ce titre incroyablement poétique, fait la part belle au texte et fait résonner les mots avec toute la douceur qu’ils méritent.

Un spectacle sur l’exil

On entend beaucoup – depuis longtemps, mais cela revient en force ces dernières années – de discours sur l’immigration : « ils ne s’intègrent pas », « ils prennent nos emplois », « ils restent entre eux »… mais est-ce un choix ? Avec son seule-en-scène, Virginie Janelas renverse le point de vue. De manière affirmée, parfois critique, elle reprend ce mélange de sentiments de la saudade. Ici, la gratitude immense se mêle à la méfiance. Elle nous narre l’attribution des permis, qui ne correspondant pas à la durée des contrats de travail, l’impossibilité de faire venir sa famille légalement, le travail au noir contraint, sans oublier le regarde que certains portent sur les travailleurs immigrés… Quand on vient, en plus, d’entendre toute l’histoire qui a précédé l’exil, on se dit que quelque chose ne tourne pas rond dans notre système. On pense alors à la citation de Max Frisch, que Virginie Janelas reprend d’ailleurs :

« Ils voulaient des bras et ils eurent des hommes. »

Cette simple phrase illustre tout le paradoxe que de la Suisse autour de la question de l’immigration : on a besoin de cette main-d’œuvre, on se vante d’être une terre d’accueil – et on l’est – mais le système en place n’est pas toujours fonctionnel, ne tient pas compte de toute la complexité de la réalité… On conclura simplement en rappelant que la reconnaissance devrait aller dans les deux sens.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Je n’ai pas de remède au vent, de Virginie Janelas, le 30 mai 2024 au Théâtre 2.21, dans le cadre du cabaret littéraire.

Écriture, jeu et musique : Virginie Janelas

https://theatre221.ch/spectacle/567/je-nai-pas-de-rem%C3%A8de-au-vent

Photos : Anne Gerzat