Les réverbères : arts vivants

De la salle de sport à la salle de théâtre : Entretien avec Noémie Griess

Depuis quatre saisons, La Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais, et propose des reportages pour chaque création. Direction les coulisses (ou peut-être devrions-nous dire, pour l’occasion, les vestiaires) pour rencontrer Noémie Griess à quelques jours de la première de son spectacle Fitness, à découvrir du 9 au 19 janvier 2025.

Soi-même comme ambition et comme quête

Fitness, c’est le troisième et dernier volet d’un triptyque sur l’ambition débuté par Noémie avec les pièces Recherche d’emploi et Star Local World Tour. La première questionnait ce que l’on veut faire de nos vies, en se focalisant, comme son titre l’indique, sur la manière dont on cherche du travail. Quant à la deuxième, elle mettait en scène une ambition totale et extrême : exister aux yeux du plus grand nombre. Avec Fitness, il sera question d’être bien avec soi-même et de réussir sa vie chacun et chacune à sa hauteur. Cela marquera également la fin d’un cycle au sujet de la quête de soi, et la permission ainsi que l’acceptation d’être une nature en constante métamorphose. « J’ai beaucoup cherché qui j’étais et à force de chercher qui l’on est, on ne trouve pas grand-chose, on évolue tout le temps, on ne peut pas s’arrêter sur une seule personnalité. Je vais arrêter cette quête et accepter que je change tout le temps » (toutes les citations sont issues de l’entretien avec Noémie Griess).

Au cœur de l’action

Au tout début, le fitness, pour Noémie, n’était pas une évidence, et c’est bien là un des sujets de la pièce : la découverte que l’inattendu peut sauver. En effet, il y a parfois des espaces que l’on ne soupçonne pas être faits pour soi et qui peuvent, finalement, se révéler, à un moment donné, essentiels, centraux et nécessaires à notre bien-être, « depuis [la découverte du fitness] je n’ai plus envie de me dire, par avance, que les choses ne sont pas pour moi ».

Suite à une période compliquée dans sa vie, Noémie a cherché des solutions, « il me fallait un électrochoc » et elle s’est inscrite au fitness. « Là j’ai eu comme une révélation, j’ai trouvé un endroit où j’étais moins cynique, où je pouvais me dépenser et ça me faisait du bien ». Elle parle de cette expérience à ses proches, et embarque sa meilleure amie, Laurence Favez, avec laquelle elle écrira ensuite, mais elles ne le savent pas encore, sur ce qu’elles vivent et observent autour d’elles au fitness, comme par exemple la prof de gym qui leur apparaît immédiatement de manière théâtrale, avec son casque et sa manière d’animer les gens. « C’est vraiment la chauffeuse de salle contemporaine ». Avec Fitness elles nous partagent donc une expérience personnelle, les éléments qui les ont animées, parce que, pour Noémie « l’art ça sert surtout à comprendre des trucs pour soi, et ensuite c’est cool de pouvoir les partager et d’offrir aux gens des sortes de clefs rapides ».

Cette première expérience fitness s’est ensuite prolongée pour Laurence et Noémie par une résidence de deux mois « au coeur de l’action », à New-York. Elles ont fréquenté un fitness incroyable, dont certain·e·s client·e·s sont à l’image de ces personnes que l’on croit pourtant presque irréelles sur les réseaux sociaux. Il disposait d’une salle de repos à la moquette rose et aux deux-cents boules à facettes. Là encore, sport et spectacle se rejoignent, « tout était méga chic et on aurait pu imaginer que les profs avaient tou·te·s travaillé avant à Broadway ». En totale immersion, jamais elles ne révèlent leur projet de spectacle, pour être sûres d’être au plus proche d’une forme d’authenticité et éviter de tomber dans des représentations ou des clichés.

Le temps des écritures

Après New-York, Noémie et Laurence, riches d’une multitude d’expériences-fitness, poursuivent l’écriture de leur spectacle dans une toute autre ambiance, beaucoup plus végétale, lors d’une résidence à la fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature à Montricher. Ainsi s’opère, en amont de la création au plateau, un immense travail d’écriture, ou chacune investit des domaines qui l’intéressent : le lien avec les objets pour Laurence qui a notamment envie de faire parler le célèbre ballon de fitness ; et le quotidien et les personnes que l’on peut retrouver dans les fitness pour Noémie. Cette première écriture ne demeure cependant pas figée. Au moment de la création au plateau, chacun et chacune a l’espace et la liberté de s’approprier son personnage, et d’apporter de nouveaux éléments.

Un remède contre la petite voix qui ne nous veut pas du bien

Nous avons tou·te·s, certainement, des idées reçues sur le fitness, nous pouvons par exemple imaginer que c’est un lieu où le jugement est continuellement pesant sur les corps. Il est intéressant de découvrir que l’expérience de Noémie est toute autre et nous invite à revoir nos a priori.

Elle se rappelle de sa première fois, où, dans les vestiaires, sans complexe ni gêne, et de manière totalement naturelle, une professeure dévêtue, est venue discuter avec elle. Une expérience nouvelle pour Noémie, très pudique. Si le spectacle ne mettra pas en scène de la nudité, cela reste une thématique qu’il abordera.

Si le fitness vient questionner et peut-être proposer d’autres regards possibles sur les corps, il permet également d’apporter à Noémie une sorte de puissance et d’ouvrir ses possibles. Si lors des premières séances elle arrivait à peine à tenir le temps de deux chansons, aujourd’hui elle atteint les deux heures. « Dès que j’ai la petite voix qui me dit : tu n’es pas capable, je repense au fitness, et je sens alors que je peux être capable de tout. Être en forme permet d’être mieux dans la vie et mieux avec les autres ».

Le fitness, c’est donc la possibilité d’une nouvelle rencontre avec soi, mais c’est aussi se mêler à d’autres et peut-être se confronter à des formes de compétition ou de comparaison. Mais là encore, l’expérience de Noémie nous dévoile une autre facette. Bien loin d’éloigner les gens, c’est une pratique qui rapproche. Tou·te·s sont venu·e·s pour une seule et même chose, se faire du bien. « Les gens sont là pour oublier le quotidien, quand on fait un effort physique tou·te·s ensemble, on oublie un peu qui on est, on est entouré de plein de corps qui suent, on est tou·te·s au même endroit, que l’on soit banquier ou comédienne, on est tou·te·s en habits de sport, et l’on fait tou·te·s les mêmes mouvements avec le corps que nous avons ce jour-là, je trouve que c’est plutôt bienveillant. »

Et si nous avons déjà évoqué un lien possible entre le théâtre et le fitness, au travers de la figure de la prof, il en existe un autre, plus personnel, pour la comédienne. En effet, quand elle est sur scène ou à la salle, elle se sent bien, « c’est vrai que les endroits où je me sens le mieux et la plus entière, c’est sur scène et au fitness, tout à coup je ne me pose plus de questions ».

Ainsi, bien loin d’être un lieu enfermant, le fitness se révèle être un lieu de tous les possibles ; et surtout celui d’être juste soi.

« J’ai vraiment une équipe super ! »

Ce spectacle, entre éloge et hommage au fitness, qui multiplie les points de vue, est le résultat d’un travail d’équipe. Noémie a rassemblé, dans un savant équilibre de fidélité et de transformation, des personnes avec lesquelles elle a l’habitude de travailler, comme la scénographe Vanessa Ferreira Vicente, complice depuis dix ans, ainsi que des nouvelles, à la lumière (Florian Leduc), au son (Nadan Rojnic), aux costumes (Séverine Besson) ou encore à la musique (Psycho Weazel, Léo Besso, Ivo Roxo et Giordano Rusch). Mise à part la thématique de l’ambition, la musique est l’autre élément qui crée le lien entre les créations de Noémie (d’ailleurs nous la connaissons aussi au travers de son groupe Barrio Colette, et leur dernier album Rouge Rose). La musique est pour elle essentielle à un spectacle, et, de manière plus générale, tout simplement naturelle. Elle nous confie la jolie anecdote, que c’est en chansons qu’il lui arrive de « parler » avec sa grand-mère.

Avec grand enthousiasme, elle congratule le travail des musiciens sur le spectacle : « c’est magnifique, ils ont assuré ! » mais on ne vous en dira pas plus, histoire de nous laisser encore quelques surprises. On se donne rendez-vous dès le 9 janvier 2025 à la Maison Saint-Gervais pour découvrir ce spectacle, qui est aussi musical, vous l’aurez compris, et qui met en scène trois personnages et un ballon (dont nous pourrons enfin découvrir les mots et la voix !). Et si vous avez un abonnement dans un fitness, sachez que vous avez le droit, sur ce spectacle spécialement, à une réduction.

Charlotte Curchod

Infos pratiques :

Fitness, de Noémie Griess et Laurence Favez, du 9 janvier au 19 janvier 2025, à la Maison Saint-Gervais.

Ecriture, mise en scène : Noémie Griess

Ecriture : Laurence Favez

Avec Julia Batinova, Noémie Griess et Giordano Rusch

Voix off : François Herpeux

Scénographie : Vanessa Ferreira Vicente

Costumes et accessoires : Séverine Besson

Lumière : Florian Leduc

Musique : Psycho Weazel, Léo Besso, Ivo Roxo et Giordano Rusch

Son : Nadan Rojnic

Dramaturgie: Yaël Steinmann

Chorégraphie : Milo Gravat

Administration : Cécilia Olivieri

https://saintgervais.ch/spectacle/fitness/

Photo : ©Matthieu Croizier

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