Les réverbères : arts vivants

Un Noël kamikaze qui ne rentre pas dans les cases

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À partir de la célèbre pièce du Splendid créée en 1979, voici Le Père Noël est une benne à ordures, une version gore-trash-grand guignol jouée au POCHE/GVE jusqu’au 31 décembre et qui met en valeur la qualité du jeu des quatre interprètes au premier rang desquels se trouve la saisissante Rébecca Balestra, assumant à merveille tous les excès de son personnage.

Ça commence sur les chapeaux de roue de l’humour acide. À l’image de l’histoire originale, Thérèse et Pierre assurent la permanence téléphonique pour cas désespérés… si ce n’est qu’ils comptent les suicidés avec plaisir. On comprend alors bien vite qu’on a affaire à un affreux couple de cinglés sous des apparences catholiquement correctes. C’est jouissivement bête et méchant, comme l’a écrit Jacques Sallin. Avec des faux airs de C’est arrivé près de chez vous.

L’auteur Guillaume Poix et la metteure en scène Manon Krüttli se sont à l’évidence bien trouvé·e·s. On a l’impression qu’il n’y en a pas un·e pour arrêter l’autre, que le texte est prétexte à tous les crescendos scénographiques qui se trouvent à leur tour justifiés par le délire croissant des répliques échangées.

Le style absurde renvoie à une contre-culture, très en vogue dans l’underground français des années post soixante-huit, portée par des slogans comme Il est interdit d’interdire et où la liberté d’expression ne souffrait quasi aucune censure. Les temps ont bien changé…

Dans la dystopie proposée (mais ne serait-on pas plus près de la réalité que de la caricature ?) sont insérées des thématiques sociales bien actuelles : le nationalisme, l’antisémitisme, l’identité de genre, les mères porteuses, la violence conjugale, la guerre en Ukraine… Écrite en 2022, les dialogues sont corrosifs à souhait pour critiquer la bien-pensance de celles et ceux qui se targuent d’aider les autres… et personne ne sort indemne de l’amoralité présentée. Les plus bas instincts de l’humanité sont ainsi convoqués sur le plateau comme un miroir déformant pour dire les us et coutumes de la violence présente dans nos sociétés gangrénées par la folie.

Si Pierre donne la réplique avec le rythme d’un pince-sans-rire gominé insupportable (impeccable Jérôme Denis), il faut accorder une mention spéciale à l’époustouflante comédienne Rébecca Balestra qui cumule impeccablement un physique rigide avec des propos salaces sous des tonnes de couche d’hypocrisie morale. Le déplacement au théâtre se justifie à lui seul pour être témoin de cette performance scotchante.

Quant à M. Preskovitch (remarquable double composition de Simon Guélat), il apporte sur scène non seulement ses doubitchous roulés à la main sous les aisselles mais surtout une parodie de comédie musicale. Il ne s’exprimera que de cette manière chantée, entraînant avec lui l’ensemble de la troupe dans des mélodies approximatives qui feraient se retourner dans leur tombe les demoiselles de Rochefort. C’est un choix assumé qui valide encore plus l’impressionnant brouillamini de trouvailles scéniques.

Cerise sur le gâteau, vous aurez le droit à une Zézette déformée sortie tout droit d’une BD de Gotlib, déformée à souhait et outrancière comme jamais, quitte à faire passer l’originale (inoubliable Marie-Anne Chazel) pour une enfant de chœur. Dans son rôle, Bénédicte Amsler Denogent nous stupéfie grâce à une transformation physique qui impacte tout son jeu d’actrice.

Et que dire de l’arrivée du Père Noël cul-de-jatte (énorme Louka Petit-Taborelli) au coup de hache généreux ? C’est le moment où l’on comprend, avec certes un peu de gêne, que rien ne nous sera épargné. Le spectacle se dissout alors dans un grand n’importe quoi où tout est permis puisque plus rien n’a de sens. Des moignons comme s’il en pleuvait, de la gerbe dégoulinant des murs, des masturbations collectives… Ça suffit ? Vous êtes dégoûté·e·s ? Vous ne vous marrez plus ? Vous en voulez encore ? Non ? Et bien, oui, vous en aurez encore : des meurtres, des fellations, de la copulation, des yeux ingérés-recrachés-bavés… Joyeux Noël.

Sur le fond, cela fait du bien de constater que l’on peut encore rire de tout. Toutefois, sur la forme, la veine se tarit à force de s’exploiter elle-même. Oser sans vergogne toutes les offenses pendant une heure trente essouffle quelque peu la comédie horrifique proposée. L’excès et la surenchère conduisent au final les personnages à faire du Grand Guignol où le plus risque bien de faire le moins. Demeure le cadeau d’une distribution hallucinante pour une provocation punk qui brocarde nos travers. Et nous donne peut-être plus à les penser qu’on ne pourrait le croire…

Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Le Père Noël est une benne à ordures, adaptation de Guillaume Poix à partir du texte du Splendid, au POCHE/GVE, du 12 au 31 décembre 2024.

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Bénédicte Amsler Denogent, Rébecca Balestra, Jérôme Denis, Simon Guélat, Louka Petit-Taborelli 

https://poche—gve.ch/spectacle/le-pere-noel-est-une-benne-a-ordures

Photos : © Carole Parodi

[1] Réplique culte du film « Le Père Noël est une ordure » (1982)

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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