Les réverbères : arts vivants

Noël Circus

Bête et méchant : Le Père Noël est une benne à ordures, un spectacle fou à voir au  POCHE/GVE de date en date jusqu’au 29 janvier 2023.

Le directeur du POCHE/GVE Mathieu Bertholet l’a annoncé dans la cadre de l’intro du dirlo au foyer du théâtre, un quart d’heure avant la représentation : « Vous rirez… peut-être pas de tout, ou peut-être serez-vous étonné de rire de tout. » Voilà qui est dit.

Il a été confié à Guillaume Poix (romancier et dramaturge) de laisser libre cours à son imagination en s’inspirant du spectacle du Splendid : Le Père Noël est une ordure. Ce dernier l’a fait au travers d’un cercle chromatique nouveau : l’effroi, l’incorrect et l’amoral. Pour celleux qui se souviennent de ces journaux, il y a du Hara Kiri du professeur Choron dans l’air, des effluves de l’Écho des Savanes de Marcel Gotlib au menu. Les amateurs du genre bête et méchant – et il est à croire que Guillaume Poix et la metteuse en scène Manon Krüttli en sont friands – ne seront pas déçus.

Dans un décor à l’ambiance bonbon rose, on retrouve les personnages de l’ouverture du spectacle d’origine : Thérèse (Rébecca Balestra), Pierre (Jérôme Denis) et le téléphone. De suite, les spectateurs retrouvent leurs marques. Thérèse en chaisière et Pierre en « gominé »  de première. Mais à bien y regarder, c’est beaucoup plus subtil et l’on découvre petit à petit que l’auteur et les comédiens montent rapidement en puissance la caractérisation de leurs personnages. Encore deux souvenirs de la version d’origine pour que tout le public raccroche, tels que le tricot de Thérèse et l’évocation de la peinture érotico-porcine de Pierre et le festival débute ! Le public a été prévenu.

Ce texte devient délirant, fou, hors des clous ! Thérèse la chaisière en parfaite innocente aux mains pleines reprend avec bonheur, entre ses aiguilles et un discours de charité le fameux dessin de Proud Mary de Marcel Gotlib[1] ou l’art de la fellation nunuche mimée est dans tous ses états. Quant à Pierre en parfait faux cul au téléphone, il fait fi de la bienveillance d’usage en provoquant chez le désespéré le dernier geste afin que l’appelant fasse le sien. Cruel et réjouissant.

Derrière son col Claudine, Rébecca Balestra est magnifique en gourgandine de presbytère et sous sa couche de brillantine, Pierre débonde de politesse perverse. Ça dégouline de lieux communs, c’est gluant de morale moche. C’est la partie calme du spectacle.

Ah Monsieur Preskovitch ! Ce nom est à lui seul l’expression de la nourriture effrayante ! Et c’est sur une inattendue parodie des Parapluies de Cherbourg qu’il entre en scène. Associer le souvenir rance des Doubitchou à la douceur de l’évocation de Michel Legrand, c’est un contraste aigre-doux rarement à la carte. Quant aux effets de l’ingestion, la surprise est à voir absolument.

Puis, c’est le tour du personnage de Zézette épouse X. À nouveau le spectacle accélère. Bénédicte Amsler-Denogent interprète avec délire une sorte de Berthe Bérurier échappée du monde de San Antonio. Enceinte, on le savait, grassement populaire aussi, mais ce que la metteuse en scène et l’auteur lui ont rajouté est proprement insensé. Les freins sont lâchés ! L’érotisme paillard s’impose et s’étale. Puis, le père Noël débarque telle une bombe, c’était prévu. Mais sa puissance à l’éclatement est délirante ! Les éclats d’énergie de Louka Petit-Taborelli font basculer le spectacle dans les outrances du Grand Guignol ! L’ambiance devient totalement loufdingue ! Manon Krüttli développe une mise en scène foisonnante !

Ouf, une pause ! Katia entre en scène. On la sait fragile, elle le reste. Elle aime danser, on le savait. Elle veut de l’amour, elle ne trouvera que du désir de façade qu’elle évoquera dans un joli monologue et avant que naisse un jour nouveau, iel (Simon Guélat) s’en retourne à son lot de solitude.

Puis, la folie reprend le dessus. C’est le festival de l’horreur. Le gore s’invite, du sang gicle, la décadence s’impose et l’humour noir débonde. Le second degré a pris le pouvoir !

Ce qui est remarquable et de première force ici, c’est que ce spectacle est écrit alors que l’original ne l’a été que bien plus tard car improvisé en création. Cette énergie que les comédiens projettent en plein visage des spectateurs est puissante, vive, drôle et brûlante.

On nous avait prévenus du texte et non du talent de cette troupe. Il nous a été réservé la joie de le découvrir et de l’applaudir.

Jacques Sallin

Infos pratiques : Le Père Noël est une benne à ordures – de Guillaume Poix, du 28 novembre 2022 au 29 janvier 2023, au POCHE/GVE

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Bénédicte Amsler Denogent, Rébecca Balestra, Jérôme Denis, Simon Guélat, Louka Petit-Taborelli

Photos : © Carole Parodi

[1]L’Écho des Savanes n° 3 / 1973

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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