Déclamer et raconter Baudelaire
Baudelaire en rythme, en poésie et en faits, voilà ce qui est présenté dans Fleurs du mal, du 17 au 21 avril chez Les Amis musiquethéâtre.
Si vous deviez choisir une quinzaine, voire même seulement une douzaine de poèmes de Charles Baudelaire, lesquels prendriez-vous ? Pour Françoise Courvoisier, deux thèmes s’imposent et s’opposent, le neurasthénie et l’amour, une « infinie noirceur traversée par de brefs éclairs de bonheur et d’extase[1] ».
J’avoue avoir eu peur quand, après la première déclamation sombre, l’extase est venue sous forme d’une danse sur de la percussion que j’ai, à titre tout à fait personnel, trouvée très gênante. Heureusement, la suite n’a consisté que d’une heure de déclamation en rythme dans une ambiance méditative qui m’a transportée et ramenée à ma propre découverte de Baudelaire il y a un peu plus d’une quinzaine d’années.
La grande réussite de ce spectacle est la maîtrise de l’équilibre entre les différents éléments. Le plus marquant est celui entre la musique et la poésie. La force ou douceur de l’accompagnement musical de Béatrice Graf est si adapté aux poèmes et à la déclamation de ces derniers que les auditeurs et auditrices plongent dans les émotions de l’auteur et de la comédienne sans autre compagnon de voyage que le son. Les faits biographiques viennent agir en respiration, permettant d’apaiser la force des émotions sans nous sortir du chemin sur lequel la pièce nous emmène.
Un voyage au cœur de Baudelaire sans fil rouge autre que l’alternance, entre rêve sombre et lumineux, entre songe et réalité, entre spleen et idéal. Un non-manque de suivi qui permet d’éviter la recherche absolue de sens pour se concentrer dans l’émotion du moment présent, ou chacun·e retient son souffle au rythme choisi par l’auteur, soutenu par la voix de la comédienne.
Pourquoi auditeur et auditrice et non spectateur et spectatrice me demanderez-vous ? Après-tout une pièce de théâtre, même musicale, ça se regarde autant que ça s’écoute. Normalement oui, mais là non.
Bien que l’utilisation de l’espace scénique permette de séparer les différents moments et poèmes, la lumière aurait gagné à être moins en adéquation avec le rythme et les mots. Car si du spleen à l’idéal il n’y a qu’un « et » dans le chapitre de Baudelaire, en termes de luminosité, passer de l’intimité à la puissance, c’est peu agréable pour ceux dont les yeux sont fragiles. Heureusement pour les spectateurs et spectatrices dans ce cas, être auditeur ou auditrice est amplement suffisant pour apprécier la grandeur de Baudelaire via la déclamation de Françoise Courvoisier et la rythmique de Béatrice Graf. Jusqu’à l’explosion finale permettant non seulement d’exprimer la force des émotions positives de Baudelaire mais également de nous sortir de cet état de transe pour nous conduire sur le chemin du retour à la réalité.
Je conclurai simplement en encourageant, celle et ceux qui souhaiteraient déclamer du Baudelaire en musique à le faire, sans entraves ni hésitations. Le concept a été fait et refait, que ce soit par des figures emblématiques comme Mylène Farmer (l’horloge, 1988) ou des artistes genevois moins connus comme Guillaume Pidancet et Michael Pellegrini (Projet XVII : Baudelaire, 2017). C’est maintenant au tour de Françoise Courvoisier et Béatrice Graf (Fleur du Mal, 2023), et ensuite ? Le champ des possibles reste large et le concept intemporel, alors lancez-vous si le cœur vous en dit et je me ferai une joie de venir vous écouter.
Lisa Rigotti
Infos pratiques : Fleurs du mal, Extraits de l’œuvre de Charles Baudelaire, du 17 au 21 avril 2024 aux Amis musiquethéâtre
Mise en scène : Françoise Courvoisier
Avec Françoise Courvoisier et Béatrice Graf (percussions)
https://lesamismusiquetheatre.ch/fleurs_male/
Photos : © Anouk Schneider
[1] Extrait de la présentation du spectacle, sur le site des Amis musiquethéâtre.