Les réverbères : arts vivants

Denali : polar théâtral comme dans une série

Inspiré d’un fait divers dramatique en Alaska, Denali, un meurtre qui secoua l’Amérique raconte le meurtre d’une adolescente par deux de ses ami·e·s. Comme dans une série, l’histoire décortique la genèse du meurtre, l’enquête et les interrogatoires, à grands renforts de flashbacks.

Sur la scène de l’Alchimic, à jardin, on retrouve Louise Guillaume, créatrice de la musique qu’elle joue en live pour le spectacle. Devant elle, un écran en tulle, derrière lequel on apercevra les flashbacks dans la chambre de Denali, l’appartement dans lequel le groupe d’ados fomente son crime, la forêt où Cynthia Hofmann a été abattue. Côté cour, c’est la salle d’interrogatoire qui trône, et deviendra par moments le bureau des détectives ou une cuisine. Tout commence donc dans cette salle d’interrogatoire : Denali Brehmer fait face aux deux détectives Jessica Hais et Lenny Torres. Elle leur raconte comme son ami Kayden, pris d’un coup de folie, a assassiné Cynthia d’une balle dans la nuque, alors qu’iels jouaient avec l’arme de la mère de Denali, dans la forêt près d’une chute d’eau. Mais alors que Kayden avoue tout, il finit par raconter aux autres détenus que c’est Denali quo l’a poussé à faire ça. L’histoire se complique et devient un véritable thriller. Plusieurs pistes devront être creusées, et la vérité bien plus terrible qu’il n’y paraissait…

Comme une série télé

L’originalité de l’écriture et de la mise en scène de Nicolas Le Bricquir est de construire cette pièce comme une série télévisée, romancée, en plusieurs épisodes. Dès le début, sur l’écran de tulle, un avertissement signale que l’histoire à laquelle on va assister est inspirée de faits réels, mais ne reflète pas forcément toute la réalité. Durant l’heure 35 que dure le spectacle, on assiste donc à plusieurs épisodes, entrecoupés de génériques et de récapitulatifs, qui seront bien vite passés, comme nous nous sommes habitué·e·s à le faire sur les plateformes de streaming. Chaque épisode se termine, bien sûr, sur un moment de suspense que parvient à ménager l’écriture de Nicolas Le Bricquir, pour tenir son public constamment en haleine : rebondissements dans l’enquête, nouvelles découvertes sur les téléphones des protagonistes, témoignage bancal, flashback contredisant le récit de l’un ou de l’autre…

Le choix de ce médium permet de montrer des éléments que le théâtre ne montre habituellement pas. L’écran diffuse ainsi les photos montrées aux personnes interrogées, on y projette également les conversations de messageries en ligne entre les différent·e·s protagonistes. Régulièrement, comme dans les séries, on nous donne également des indications de lieux, de dates, afin qu’on ne se perde jamais et qu’on reconstitue, morceau par morceau, toute la chronologie de cette affaire. On plonge ainsi véritablement dans l’enquête, en avançant au même rythme que les enquêteurs, sans jamais en savoir plus qu’eux. Ainsi, les derniers éléments qui lèvent les derniers moments de suspense ne peuvent que difficilement être anticipés, et révèlent une réalité incroyablement complexe…

Un drame profond

Dans l’histoire de Denali – c’est son nom qui a été retenu, non celui de Cynthia, la victime – il est question de manipulation, de la crédulité d’une adolescente et jeune maman en détresse, des pires horreurs dont l’être humain est capable, comme le mensonge, le proxénétisme sur mineure, le viol et le meurtre… On y perçoit aussi les dangers et les dérives extrêmes des réseaux sociaux, surtout pour celles et ceux qui n’en ont pas conscience. On évoquera aussi l’appât du gain qui monte trop rapidement à la tête de Denali et Kayden. Quant au fait que cette histoire a secoué l’Amérique, on aurait peut-être souhaité que cet élément soit davantage approfondi : si quelques images du procès et des reportages télévisés sont projetées à la fin du spectacle, peut-être un éclairage un peu plus détaillé sur le contexte de l’affaire aurait-il été mérité. Cela aurait également pu permettre de pousser le côté série télé à l’extrême, en dévoilant les suites de cette affaire, comme on peut souvent le voir à la fin des œuvres tirées d’histoires vraies.

Malgré ce petit bémol, qui est surtout dû à la curiosité induite par cette histoire, Denali, un meurtre qui secoua l’Amérique demeure un excellent spectacle. Les jeunes comédien·ne·s y sont très convaincant·e·s : Lucie Brunet parvient à montrer toute la complexité de Denali, entre coupable et victime, avec un rapport très ambigu entre ces deux facettes. Son complice Kayden (Julie Tedesco) oscille entre la naïveté, cette impression d’être toujours dépassé, tout en étant totalement conscient de ce qu’il faisait, bien qu’aveuglé par l’attrait de l’argent qu’on lui a promis. On évoquera encore Caroline Fouilhoux, qui incarne Kate, la benjamine du groupe (14 ans au moment des faits), et son rôle de fausse ingénue, qui comprend bien plus qu’elle ne le montre… On pourrait encore étendre la liste, tant la partition de chacun·e est d’une incroyable justesse : on y croit jusqu’au bout, plongeant dans cette affaire complexe, avec des rôles extrêmement ambivalents. De quoi nous balloter entre surprise, choc et dégoût…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Denali, un meurtre qui secoua l’Amérique, de Nicolas Le Bricquir, du 7 au 16 février 2024 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Nicolas Le Bricquir

Avec Lucie Brunet, Caroline Fouilhoux, Lou Guyot, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire , EN ALTERNANCE AVEC : Charlotte Levy, Julie Tedesco, Anouk Villemin ET Louise Guillaume (musique)

https://alchimic.ch/denali-un-meurtre-qui-secoua-lamerique/

Photos : © Béatrice Livet

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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