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Autoportrait : Portrait animalier

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Angela Allemand qui prend la plume. Elle nous livre un autoportrait aux petits airs d’animaux, dans lequel elle se raconte au fil des mots. Bonne lecture !

* * *

Portrait animalier

Goéland n. m. • 1. Grosse mouette. 2. Ne rigole pas.

Lorsque vient le temps des goélands, chacun sait que l’hiver est là, bien implanté. Au cœur de la ville, loin du lac, ils volent au-dessus de la cour intérieure de mon immeuble et remplissent le ciel gris de leurs crissements gutturaux. Leur blancheur effilée et vive forme un contraste éclatant sur le stratus permanent. Ils semblent vouloir du pain. Ou alors des couennes de fromage. Mais il est interdit de les nourrir, paraît-il. La chatte siamoise les suit des yeux depuis son panier accroché à la balustrade du sixième étage, elle voudrait bien faire son repas. Mais c’est le sol qui la mangera. N’est pas goéland qui veut.

Phoque n. m. • Voile de bateau

Un animal court sur la plage. Le sable est blanc, le vent froid. Les nuages qui défilent font alterner la couleur de l’eau qui passe du turquoise translucide au plomb mat. Une boule grise, qui n’a rien à envier à l’élégance du foc, émerge prudemment de l’eau et jette un regard noir et huileux vers le chien qui agite la queue et part en gambadant la truffe basse à la recherche du rivage. Mais voilà que le suit cet animal fuselé qui observe ses moindres faits et gestes. Un jeu improbable entre la terre et l’océan se met en place. Rapidement d’autres ogives grises et tachetées se mettent à suivre leur double terrestre. Par intermittence, elles sortent leur tête étrangement humaine pour observer ce compagnon de jeu. Le chien est ravi de cette attention sous-marine. Du côté humain, on se demande si les phoques cherchent le jeu, ou s’ils voient dans le canidé une proie naïve toute prête à se jeter dans leur gueule.

Équidés n. m. pl. • Bêtes

Assise sur un poney à la queue leu leu derrière un demi-poney ou un demi-cheval, je frôle les murs fait de planches de bois du grand manège. Une gêne sous-jacente m’envahit face à la vacuité de l’exercice. Les animaux connaissent le chemin, ils n’ont pas besoin d’être guidés. Le poney minuscule que je monte, sentant vraisemblablement le doute en moi, sort de la file et galope librement dans le manège. La gêne fait soudainement place à la nervosité. Que faire ? Je n’ai rien appris, et je refuse d’imposer ma volonté à cette bête. Incapable d’arrêter sa course rebelle, je préfère me laisser tomber dans la sciure épaisse et de loin plus rassurante que cet animal en furie. Mordre la poussière et ne jamais remonter sur un poney.

Chien n. m. • Navigateur au long cours

Daska, le Basset hound, s’est levé avant tout le monde pour se glisser silencieusement sur le pont du Majanah. Calme plat au milieu de l’océan Atlantique. Les réserves de nourriture se font précieuses et la diète s’impose à tous, même à lui. Pour pallier le manque, la pêche est un bon substitut, et par chance, depuis quelques jours, des poissons volants s’échouent sur le bateau. Ses maîtres ont bien profité de cette pêche miraculeuse, mais étrangement ils ne trouvent plus de poissons sur le pont, même s’ils les voient toujours bondir hors de l’eau. Daska, le Basset hound, s’est levé avant tout le monde pour se glisser silencieusement sur le pont du Majanah. Ne dit-on pas que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ?

Orques n. f. pl. • Catégorie de mammifères aimant danser au clair de lune

L’océan est calme, la pleine lune installée sur l’horizon hémisphérique. Dans la cabine du bateau, deux couples jouent aux cartes. Le capitaine dresse l’oreille, il a cru entendre un souffle tout proche. Il demande le silence, se lève silencieusement et passe la tête par la trappe ouverte sur l’extérieur. Un deuxième souffle se fait entendre, de l’autre côté de la coque cette fois-ci. Plus de doute possible, un animal tourne autour du bateau. Un rayon de lune illumine une forme blanche, morcelée de taches sombres, qui remontait à la surface pour respirer, ou observer. Un autre soufflement à l’opposé indique qu’elles sont deux. L’odeur de soufre est puissante. Sans aucun bruit, le capitaine redescend dans la cabine, éteint les lumières et fait signe à ses compagnons de se taire. Deux heures passent. Les orques disparaissent aussi tranquillement qu’elles étaient arrivées après avoir dansé quelques heures au clair de lune.

Angela Allemand

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Photo : © Couleur

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