Les réverbères : arts vivants

Revivre son passé

Un héritage heureux – Mes premiers 50 ans de et avec Fausto Borghini – un spectacle en reprise au théâtre le douze dix-huit.

Tout commence comme un « anniversaire surprise. » De ceux que l’on peut espérer, se douter ou redouter tant comme jubilaire que comme invité. Tout y est : les ballons-lettre, les nappes en papier et cette sorte d’ambiance particulière qui tiens de la salle de commune ou du réfectoire transformé en salle des fêtes. Corollaire de cette « teuf », le chant d’anniversaire où malgré un rythme faux et des notes qui le sont tout autant on reconnait l’inévitable hymne à la joie. En retour de cette aventure, le lauréat de toutes les attentions n’échappera pas au discours. Là débute le spectacle avec le public comme complice. Sympa.

Une revue de vie qui débute avec une jeunesse du temps où les mômes jouaient dehors. Pas celui des boomers, celui de la génération d’après. Fausto Borghini évoque le socle de son identité qui, comme tous les souvenirs, sont partiellement reconstitués. Écrit tel un spectacle, interprété presque comme un stand-up, l’évocation du passé de l’auteur croise naturellement celui d’une part du public. C’est le temps de l’anamnèse, des petites voitures en fer blanc et des carambars « qui nous niquaient les dents ». Un moment complice.

Fausto Borghini accompagne son humour avec une forme de tendresse dans son évocation qui aurait mérité plus d’inflexion de voix et de rythme, reflet des aléas de la vie. Un récit touchant comme une histoire du Petit Nicolas qui permet au public de revivre un passé commun. Encore une fois, et cela porte aussi sur les années futures : raconter son passé n’est pas dire la vérité, c’est juste évoquer la somme d’impressions particulières. Les souvenirs ne sont donc pas figés, il appartient à l’artiste de les créer une seconde fois et Fausto Borghini en a fait un spectacle.

Alors, toujours avec un sourire au coin, l’artiste retrace la bande de mômes, de morveux comme il le dit avec ses « t’es pas cap ! » qui pousse les timides, les « poules mouillées » à rejoindre les audacieux non sans danger, à « piquer » les p’tites bagnoles au magasin du quartier et appréhender le retour au domicile la peur au ventre, de recevoir la correction maternelle teintée d’accent italien. Ce qui n’a pas manqué !

Car de son Italie d’origine il en est question, depuis les regards tintés de « loi Schwarzenbach » jusqu’à l’exubérance de sa communauté illustrée par les vacances d’été dans le village d’origine. De cette exubérance, qui sent la cuisine du sud et l’eau de Cologne du coiffeur d’en face, le public par ses rires, en redemande de cette Italie, décors de Peppone et Don Camillo.

Récits sincères d’un môme de primaire, dont il manque dans l’écriture un peu de cette vue du monde que l’on a quand on ne dépasse pas un mètre dix et que les adultes ont oubliée.

S’ensuit l’adolescence fiévreuse, plus imbibée d’espoir de grandes amours que d’avenir professionnel. Le héros évoque ses gaucheries amoureuses, ses maladresses manuelles dans le monde du travail. Coup de râteau en amour, coup de marteau au boulot.

Puis ce sont les joies de la paternité. Une paternité « comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais ce qu’il y a dedans ». Stupeur et rires ! La famille passe du premier enfant que l’on brode selon l’adage populaire à trois de plus et d’un coup. Magnifique tableau de famille désormais nombreuse peint avec les pinceaux de la folle surprise sur la toile de la réalité. Le cadre ? Il est accroché sur le mur des conseilleurs en tout genre, de ceux à l’horizon indépassable qui ont un avis sur une question dont ils ignorent tout. Il y a des comptes à régler, c’est fait et bien fait.

Un spectacle bordé d’humour, qui puise sa force de créativité dans des souvenirs de vie et qui montre qu’une part de notre joie dépend aussi de notre capacité à bien vivre avec son passé.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Mes premiers 50 ans, de et avec Fausto Borghini, le 9 février 2024 au Théâtre le douze dix-huit

Avec Fausto Borghini

Photos : © Nadir Mokdad

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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