Dénouer Le fil, tout en étant sur celui du rasoir
Le fil, le nouveau film de Daniel Auteuil, qui joue aussi le rôle principal, s’inspire d’une histoire vraie : celle d’un avocat qui retrouve le sens de sa vocation face à une affaire qui le touche sans doute plus qu’elle ne le devrait.
Tout commence avec l’arrestation de Nicolas Milik (Grégory Gadebois), un père de cinq enfants, accusé du meurtre de sa femme alcoolique, avec la complicité de son ami Roger (Gaëtan Roussel). Maître Jean Monier (Daniel Auteuil) remplace sa compagne Maître Annie Debret (Sidse Babett Knudsen) en tant que commis d’office, lui demandant de reprendre l’affaire après le premier entretien, en pleine nuit. Il faut dire que Jean n’a plus plaidé aux Assises depuis qu’il a fait acquitter un tueur en série. Seulement voilà, il est tellement touché par ce père de famille qui clame son innocence, qu’il veut plaider sa cause. S’ensuit un long procès, accompagné d’une enquête et de nombreux témoignages, pour retracer les événements de cette nuit tragique. Démêler le vrai du faux ne sera pas simple, et de nombreuses zones d’ombres entourent cette terrible histoire.
Redonner un sens au métier
Le propos du film se concentre davantage sur l’avocat que sur le présumé assassin. On pourrait accuser Daniel Auteuil d’un excès d’ego, qui le pousserait à se mettre en scène pour montrer ses talents d’acteur. Pourtant, ce qu’on retient plutôt, c’est l’angle différent et le ton inhabituel choisi pour traiter un genre d’histoires qu’on a déjà vu plus d’une fois sur nos écrans. Le scénario s’inspire des récits de l’avocat Jean-Yves Moyart, alias Maître Mô, décédé en 2021. Dans Au guet-apens. Chroniques de la justice pénale ordinaire, il dépeint ce fait divers ô combien complexe, duquel s’empare donc Daniel Auteuil dans Le fil, d’où le choix de cet angle original. Toute l’enquête est donc vue à travers ses yeux. Les nombreux flashbacks qui émaillent le procès sont autant de témoignages de suspects et de leur entourage. Les différents points de vue sont alors confrontés, obligeant l’avocat, et nous, spectateur·ice, à tout faire pour démêler le vrai du faux.
Et ce n’est pas tout, car Me Monier doit aussi faire face à Audrey (Aurore Auteuil), la sœur de la victime, qui se montre particulièrement véhémente et convaincue de la culpabilité de son beau-frère. Et elle n’est pas la seule, car l’opinion publique ne voit pas d’autre coupable. Pourtant, dans son for intérieur, Me Monier est certain de l’innocence de son client. Lui qui n’a plus plaidé dans ce genre d’affaires depuis sa grave erreur quelques années auparavant retrouve enfin un sens à sa vocation. Au-delà de l’enquête qui nous passionne, c’est véritablement de cela dont il est question dans Le fil : un avocat qui parvient enfin à se remettre dans son rôle, retrouvant le goût du plaidoyer, et de tout ce qui constitue l’essence de son métier. Annie, sa compagne, incarne l’autre pendant, qu’on pourrait appeler celui de la raison, en l’enjoignant à prendre du recul et à ne pas trop s’impliquer. Pour ce faire, elle lui rappelle entre autres qu’il a d’autres affaires en cours qu’il s’agirait de ne pas négliger. On se retrouve alors sur le fil du rasoir, avec cette nécessité de rester objectif pour ne pas tomber dans une forme d’excès, tout en faisant tout pour suivre ses convictions intérieures. Cette dimension est parfaitement narrée et montrée dans la réalisation, tout en sobriété, signée Daniel Auteuil.
Dénouer le fil
En tant que spectateur·ice, il est difficile de se faire une idée claire sur la culpabilité ou l’innocence de Nicolas Milik. Les deux camps s’opposent dans une joute oratoire magistrale, amenant des preuves qui n’en sont pas toujours, des arguments qui jouent parfois sur l’émotionnel, des témoignages quelquefois partiaux… Au début, on est presque sûr·e de l’innocence de ce bougre, sur qui la vie semble s’acharner : ce père malheureux, dévoué à ses enfants, qui pense toujours à eux avant toute autre chose, ne peut pas avoir commis l’irréparable. Pourtant, petit à petit, de nouveaux éléments font surface, le portrait de la victime s’affine également, nous obligeant à revoir notre jugement initial. Il faut dire aussi que l’Avocate Générale Adèle Houri (Alice Belaïdi) s’avère très convaincante.
À mesure que le procès avance, on oscille donc entre les deux opinions, dans un mouvement de va-et-vient entre culpabilité et innocence qui nous tient parfaitement en haleine. Tout monte en puissance : les arguments s’affinent, sont démontés par la partie adverse, qui tente de mettre en défaut l’autre. La joute oratoire atteint petit à petit son paroxysme, la forme prenant parfois le dessus sur le fond. C’est alors à qui s’exprimera le mieux pour convaincre le jury. Le fil se noue de plus en plus, la tension monte, comme si tout s’accélérait peu à peu. On apprécie alors le montage du film, qui donne à l’histoire tout le suspense qu’elle mérite. Jusqu’au verdict final, on ne parvient pas à avoir une opinion complètement tranchée. La fin, d’ailleurs, peut surprendre. Quoiqu’il en soit, elle ne peut laisser indifférent·e…
Fabien Imhof
Référence :
Le fil, d’après Au guet-apens. Chroniques de la justice pénale ordinaire, de Me Jean-Yves Moyart, alias Maître Mô, réalisé par Daniel Auteuil, France, sortie en salles le 11 septembre 2024.
Avec Daniel Auteuil, Grégory Gadebois, Sidse Babett Knudsen, Gaëtan Roussel, Aurore Auteuil, Alice Belaïdi…
Photos : ©Zinc