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Derrière les fêlures, il y a des êtres humains

Écrire un recueil de nouvelles où les protagonistes sont tous coupables de quelque chose, c’est ce qu’a réussi Tommaso Solari, dans De si rudes tendresses, paru aux éditions Encre Fraîche en 2017. Mais avant d’être coupables, toutes et tous sont des êtres humains, pour qui l’on peut avoir une certaine tendresse… ou pas, d’ailleurs !

« Assis au bord du lit, Ulrich plonge sa tête entre ses mains et pleure. Cette fois, il est foutu ! Fini le faste, finie la grande vie ! Il se voit déjà seul, misérable, louant un minable studio dans la Vieille-Ville, ou pire, au Lignon ! Toujours à quatre pattes, Ulla a piqué un fou rire. Tant pis si Madame de Barvilliers ne pardonne pas… » (« Chienne de vie » – p. 102)

Plusieurs nouvelles ont pour fil rouge la sexualité. C’est notamment le cas de l’histoire d’Ulrich, habitué à une vie faste grâce à sa femme et à l’héritage de celle-ci. Si cette vie lui plaît, elle manque toutefois de piment. Raison pour laquelle il se rend régulièrement chez Ulla, une prostituée avec qui il peut réaliser ses fantasmes. Mais voilà qu’un jour, il doit s’y rendre avec Pouchkine, la chienne adorée de sa femme, qui n’arrête pas d’aboyer et, donc, de déconcentrer les deux amants. On vous laisse imaginer la suite… Ce qu’on aime dans cette nouvelle, c’est le côté absurde, le contraste entre le luxe dans lequel baignent Ulrich et sa femme, et la simplicité de la relation adultère avec Ulla. Et, alors qu’on pourrait condamner le comportement de cet homme qui trahit son épouse et leur relation, on ne peut s’empêcher d’avoir une certaine tendresse pour lui qui, d’une certaine manière, ne fait de mal à personne, jusqu’au dénouement de l’histoire. Tommaso Solari excelle dans cet art de rendre profondément humaines des personnes aux comportements déviants par rapport à la norme. On retrouve ainsi Hans-Ruedi, ce vieux bourru roi du tir dans son village, macho affirmé et qui finit assassiné ; ce jeune Turc qui profite de travailler au hammam pour regarder les femmes se déshabiller avant d’en être finalement banni… Comme quoi, la roue finit toujours par tourner. La situation des personnages n’est jamais simple, et leur psychologie pas du tout monotone. Toutes et tous ont une certaine complexité qui les pousse à adopter des comportements extrêmes. Il en va ainsi de ces trois sœurs qui commettent les pires crimes sur des pères de famille, dans la nouvelle sans doute la plus bouleversante du recueil :

« Votre mari, votre père, vous a détruites. Les hommes que vous avez tués ont aussi détruit des vies, vies d’êtres trop jeunes, trop innocents. Tous, bourreaux et victimes, sont devenus incapables, à jamais, d’aimer sans souffrir, ni faire souffrir… En ôtant la vie aux bourreaux, la malédiction qu’ils propageaient a aussi cessé… peut-être… » (« Pétales carmin » – p. 90)

Dans De si rudes tendresses, c’est donc la complexité humaine qui est explorée, à travers les défauts de chacun, leur personnalité, et les raisons qui les poussent à transgresser certaines règles, certaines valeurs. Si on ne cautionne pas forcément leur comportement et qu’on ne peut pas les excuser, on acquiesce tout de même, car on les comprend. Après tout, ne sommes-nous pas tou·te·s humain·e·s et ne commettons-nous pas tou·te·s des erreurs ? Qui peut se permettre de juger, sans savoir ? Dans ce recueil, on plonge au plus profond des rapports humains, amoureux ou familiaux, qu’il s’agisse d’Edoardo, incapable d’avouer sa véritable orientation à sa femme et qui assouvit certaines pulsions sexuelles dès que l’occasion se présente, ou encore cette mère qui couche avec le premier venu pour ne pas penser à sa fille malade et à la détresse de son mari. Mais le rapport qui m’a sans doute le plus marqué, c’est celui d’une mère et de son fils, dans « Palabras Ardientes ». Depuis des années, elle souhaite lui avouer que son père décédé n’est pas son géniteur biologique, sans y parvenir. Alors qu’elle se décide enfin, un accident d’avion non loin du village, dans lequel le fils découvre les preuves de la relation secrète d’un homme, viendra tout changer :

« – Mamà ! Mamà, si papa avait eu une liaison avec une autre femme et que tu n’avais été au courant de rien de son vivant, mais que tu avais le choix de l’apprendre après sa mort ou de rester dans l’ignorance, est-ce que tu voudrais savoir ?
[…]
– Je pense qu’il serait préférable de ne rien savoir, hijo… rien du tout…
En prononçant ces mots, la mère s’efforce pour ne pas trahir son émotion.
Manolo, lui, sourit, rassuré. » (« Palabras Ardientes » – p. 41)

De si rudes tendresses, c’est une plongée au cœur de l’âme humaine et ses secrets enfouis. C’est un recueil qui nous rappelle qu’on ne sait pas tout de l’autre et que, avant de juger, on ferait souvent mieux de réfléchir à ce qui se cache derrière les actes. C’est aussi un recueil qui nous rappelle de nous remettre en question, car nous avons, nous aussi, des secrets, des fêlures, des raisons de faire et d’être ce que nous sommes. De si rudes tendresses, un recueil bouleversant, mais qui sait aussi faire preuve d’humour et, souvent, d’un langage très cru. À ne pas mettre entre les mains de n’importe qui…

Fabien Imhof

Référence : Tommaso Solari, De si rudes tendresses, Genève, Éditions Encre Fraîche, 2017, 198 p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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