Les réverbères : arts vivants

Des clowneries pour rire et déconstruire

Après avoir répété pendant des mois, Sara Uslu et Sébastien Olivier peuvent enfin se produire devant un public. Voici les deux clowns de Pourritures, dans une mise en scène d’Alexandra Gentile, pour retomber un peu en enfance et réfléchir au monde. À voir à la Parfumerie jusqu’au 5 juin.

Sur le plateau, un clown (Sébastien Olivier) se cache d’abord derrière un empilement de carton, avant de venir s’adresser au public, sa loupiote à la main. « Ca, c’est moi ! » s’exclame-t-il fièrement en montrant l’imposant amas de cartons en forme de sculpture. C’est bientôt la fin, dit-il. La fin de quoi ? Du monde ? La sienne ? On ne sait pas trop… Mais une chose est sûre : avant de partir, il veut faire « un truc de fou » : une chanson, et ça fera PAF, BIM, BOUM ! Seulement voilà, l’arrivée d’un second clown (Sara Uslu) dans son espace qu’il s’est créé va fortement le perturber, et il ne sait que trop faire face à cette autre qui débarque…

Candeur de l’enfance

Ces deux clowns évoquent forcément l’enfance. D’abord par leur attitude et leur gestuelle : Sara Uslu imite par exemple la démarche d’un bambin, à l’équilibre précaire, avec des gestes pas encore assurés, voire aux allures désarticulées. Sébastien Olivier, de son côté, s’il paraît plus affirmé dans sa gestuelle, démontre une extrême timidité, comme un gamin qui cherche ses mots et n’arrive pas à exprimer ses idées. Alors, il répète des débuts de phrases sans parvenir à aller au bout. Même la construction de cartons, qui pour nous n’a pas vraiment de sens, semble avoir beaucoup de significations pour lui. Alors, quand elle s’écroule, c’est un peu comme si son monde et ses certitudes en faisaient de même…

Et bien sûr, on associe les clowns à notre propre enfance : qu’on en ait eu peur ou qu’ils nous fassent rire, nous avons toutes et tous côtoyé des clowns étant petit·e·s, non ? On tente alors de retrouver notre regard, l’état d’esprit candide qui nous animait en les voyant. Mais notre recul en tant qu’adulte nous rattrape bien vite. Et ce n’est pas un mal, car nous apprécions autrement cet art si particulier, en réfléchissant à d’autres aspects qu’ils dévoilent, pourtant sans beaucoup parler.

Apprivoiser l’altérité

Car ces deux clowns nous renvoient à nous, à nos vis, à travers le filtre de la fiction et de l’humour. Peut-être pour nous faire réfléchir moins frontalement ? C’est, entre autres, de l’altérité dont il est question ici. Comment fait quand notre petit confort est perturbé, quelle réaction avoir ? Comme nous, le premier clown ne l’accepte d’abord pas : il tente de se débarrasser de l’autre. Une réaction spontanée qu’on ne peut que comprendre : la peur de l’inconnu. Mais devant l’insistance de Sara Uslu – une insistance candide et innocente, celle d’une clown qui observe le monde avec des yeux d’enfants et veut juste découvrir – il faudra bien accepter cette rencontre, malgré soi.

Que nous dit alors ce spectacle ? J’y vois l’histoire d’une amitié : la méfiance d’abord, puisqu’il faut sortir de sa zone de confort, l’acceptation malgré soi ensuite, parce qu’on n’a pas trop le choix, la complicité enfin, qui se construit petit à petit. Si Sébastien Olivier est d’abord perturbé par cet être qui déconstruit, sans vraiment le savoir, tout ce qui lui tient à cœur, il finira bel et bien par créer un lien avec et comprendre qu’ensemble, iels sont plus fort·e·s. Et de réussir, enfin, à présenter son « truc de fou », comme il le souhaitait !

Avec très peu de paroles et tout en subtilité, Pourritures fait une belle parabole à nos vies, nos rencontres, notre méfiance et nous enjoint à faire tomber les masques. Et l’on ressort grandi de cette jolie expérience où les deux comédien·ne·s nous émerveillent.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Pourritures, de la Cie J’sais que ma mère aimera pas, du 24 mai au 5 juin 2022 au Théâtre de La Parfumerie, puis reprise du 19 au 28 avril 2024 au Théâtre Am Stram Gram.

Mise en scène : Alexandra Gentile

Avec Sara Uslu et Sébastien Olivier

https://www.laparfumerie.ch/evenement/pourritures/

https://www.amstramgram.ch/fr/programme/pourritures

Photos : © Sophie Le Meillour

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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