Les réverbères : arts vivantsUncategorized

Des épines et des roses

Les Amis musiquethéâtre nous propose jusqu’au 19 mars un spectacle haut en couleurs et en émotions : Les Ronces dans ma bouche où la sublime Sophie Lukasik renoue avec la scène après dix années passées loin des planches. Pour le plus grand bonheur du public, qui la redécouvre encore plus talentueuse que jamais.

Dès la première phrase, cette comédienne de renom envoûte le public de sa voix douce et légèrement voilée. Sophie Lukasik transmet au public, par un jeu subtil, toutes les nuances possibles de sa voix pour toucher les spectateurs·ice·s au plus profond de leur être. Elle n’incarne pas uniquement le personnage d’une mère – Sonia – prise par le désespoir de voir sa fille se tuer à petit feu par la drogue qu’elle consomme ; mais elle fait naître ce personnage maternel et vivre un large panel d’émotions au public. Les spectateurs·ice·s sont emporté·e·s dans cet univers familial où le subutex vient insidieusement s’immiscer dans une filiation déjà fragile. Cette drogue est tellement présente dans leur relation qu’elle s’en voit comme personnifiée par les fils et les cordes que Marion vient tendre à travers sa chambre. À l’instar d’une toile d’araignée, les protagonistes sont au fur-et-mesure prises au piège dans un espace-temps réduit à leur réalité.  Nous rentrons progressivement dans leur intimité, dans l’antre émotionnel qui lie ces deux personnes et où un scénario intergénérationnel se dessine en demi-teinte.

Très jolie performance également pour Émilie Cavalieri qui donne la réplique à son aînée. Récemment diplômée de la Manufacture, elle interprète avec brio le rôle de cette jeune adolescente en proie à ses démons. Elle oscille entre un paradis illusoire où règne l’envie du plaisir immédiat et une lente descente aux enfers. Côtés épineux de la situation, le nœud de l’histoire, la communication et le lien entre une mère et sa fille. Sonia tente de raisonner sa fille et lui propose de lutter, cependant Marion est claire : elle ne peut pas.

À la recherche du temps passé, des premiers liens tissés entre elles, dès la naissance pour comprendre l’innommable, le pourquoi ? Question qui restera vraisemblablement un mystère. La notion de l’amour intervient à point nommé. Il est bel et bien présent entre les deux protagonistes tout comme le vide qui continue de grandir et prendre de la place dans le corps de Marion.  Nous devenons tour à tour témoin de cette difficile réalité, cependant le public ne juge pas, il comprend et accepte de ressentir leurs émotions tant la réalité des deux femmes est poignante.

Des dialogues criants de vérité, écrits par l’auteur Alexandre Santos, travailleur social au bénéfice d’une expérience professionnelle en addictions et magnifiquement mis en scène par Philippe Lüscher avec pour seul et unique décor  la chambre de Marion. La jeune fille dévoile lentement son univers. Nous découvrons toutes sortes d’objets dissimulés sous son matelas et son lit, de la peinture, des fils et des cordes. Les intensités lumineuses sur les comédiennes sont en parfaite corrélation avec les intentions des personnages. La beauté de la lumière vient sublimer les moments clés de l’histoire et le son enrichit l’imagination des spectateurs·ice·s.

Malgré la dureté du sujet, cette histoire est le reflet de beaucoup d’amour et d’espoir. Comme le disait Jean d’Ormesson :

« Merci pour les roses. Merci pour les épines. La vie n’est pas une fête perpétuelle, c’est une vallée de larmes mais c’est aussi une vallée de roses. Et si vous parlez des larmes, il ne faut pas oublier les roses et si vous parlez des roses, il ne faut pas oublier les larmes. »

Natacha Gotti

Infos pratiques :

Les Ronces dans ma bouche, auteur Alexandre Santos, du 28 février au 19 mars 2023, Les Amis musiquethéâtre

Mise en scène : Philippe Lüscher

Avec Sophie Lukasik et Émilie Cavalieri

https://lesamismusiquetheatre.ch/les-ronces-dans-ma-bouche-creation/

Photos : © Daniel Calderon

Natacha Gotti

Passionnée de théâtre depuis sa plus tendre enfance, Natacha Gotti a étudié les Lettres, la psychologie et la pédagogie à l'Université de Genève.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *