Les réverbères : arts vivants

Devine qui vient dîner ?

Quand la soupe à la grimace s’impose en invité surprise : Venise sous la neige, par la troupe amateur Jeux d’Rôles, à voir à la Salle La Plage, Ferme Marignac jusqu’au 3 décembre.

Il n’y a pas que les comédiens qui se servent de leurs vies personnelles pour nourrir leurs rôles. Il y a fort à parier que les spectateurs en font tout autant. Qui se souvient d’une soirée, qui se présentait comme une invitation banale où soudain, le virus de la crise d’amour en invité surprise, développe entre les convives une ambiance méphitique du premier biscuit apéritif jusqu’au café ? Qui se remémore de son malaise quand tout à coups le microbe ravageur de la scène de ménage fait apparaître les pustules de la crise conjugale entre les deux hôtes ? Quand le bacille de la méchanceté gratuite infectait ceux qui s’aimaient tant, il n’y a pas si longtemps ?

C’est avec cette situation baroque que joue l’auteur Gilles Dyreck pour armer les ressorts de son histoire. Pour une raison inconnue mais sûrement valable, Patricia (Alexia Leyval) se mure dans un mutisme sévère tandis que son compagnon, Christophe (Chaquib Ibnou-Zekri), lutte comme un chat contre une vitre pour obtenir de cette dernière trois mots. C’est au bord du point de rupture qu’ils sonnent à la porte de leurs hôtes, deux ravis de la crèche de l’amour qui se donne à la pelle des surnoms niais tels que chouchou avec des voix qui montent dans les aigües. Les hôtes, Jean-Luc (Julien Rochat) et Nathalie (Laurence Barbey Gretsch), étalent à la pelle à tarte un épanouissement amoureux aussi crémeux et pastel que leur futur gâteau de mariage. Ce spectacle dans une mise en scène classique de Christophe Bisiot, se présente comme une comédie fraîche qui a le grand bonheur d’éviter le cocuage systématique.

La niaiserie béate des amoureux se présente de manière joyeusement horripilante pour le public et donc furieusement agaçante pour les deux personnages infectés d’incompréhensions mutuelles. C’est l’arbre qui cache la forêt, car c’est derrière que les choses se passent. Les amoureux qui arrivent à l’heure n’intéressent personnes, tandis que les couples en crises, nous font prêter l’oreille.

Bardée de son mutisme, Patricia intrigue. Ici, Alexia Leyval porte le silence parlant de son personnage avec justesse. Sous la pression, elle finit par s’exprimer dans un langage du type volapuk forgé sur des intonations slaves. C’est drôle, sympathique et l’imagination du personnage va imposer un pays imaginaire : la Chouvenie, une terre échappée de la déconfiture yougoslave. Dès lors, les deux gluants d’amour discourent en formules toutes faites et lieux communs à propos des difficultés de vie en Chouvenie. Leur parler bébé, devient un parler affecté pour étranger. À remarquer la belle tenue du rôle de la maîtresse de maison de Laurence Barbey Gretsch et le port d’une gaucherie pathétique du personnage joué par Julien Rochat.

C’en est trop ! Pour Christophe, les choses deviennent intenables. Sa colère et ses intentions de tout révéler vont se heurter à un vide grenier improvisé pour nécessiteux chouvènnes. Chaquib Ibnou-Zekri portent avec finesse un personnage ajusté aux mots, qui, pris en otage, tente de garder un équilibre sur la planche tenue par ses hôtes et savonnée par sa compagne de misère sentimentale.

Seulement, englué dans leur mièvrerie et leur générosité fade, face à la réalité qui finit par être dévoilée, les deux amoureux de Peynet refusent l’évidence, prouvant une fois de plus que ce qui est cru est bien plus important que ce qui est vrai.

De ceci, les deux fâchés de l’amour se réconcilient. La perspective de moquerie envers les deux Chouchous est bien plus joyeusement méchante et plus épanouissante que de s’entre-dévorer à pleines canines. C’est là qu’apparaît la raison du titre du spectacle. Une raison qui a toujours été présente et que peu ont remarqué. Subtile.

Quittant le lieu avec un triomphe modeste, les ex-furieux laissent sur le pas de la porte, les amoureux encore marqués de leur première crise. Les deux couples ont affronté la réalité conjugale la plus limpide.

Ici, l’auteur ferme parfaitement son histoire en quelques mots. A chacun de les découvrir à la fin de cette drôle, agaçante et charmante comédie.

                                                                                                                      Jacques Sallin

Infos pratiques : Venise sous la neige,  par la compagnie amateure Jeux d’Rôles, du 22 novembre au 3 décembre 2022, la Salle La Plage, Ferme Marignac – Lancy

Mise en scène : Christophe Bisiot

Avec : Alexia Leyval, Chaquib Ibnou-Zekri, Laurence Barbey Gretsch, Julien Rochat

Photos : © Laurence Hammer

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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