Les réverbères : arts vivants

Quand le couple finit Hors-jeu

28 juin 2012. Demi-finale de l’Euro entre l’Italie et l’Allemagne. Un couple qui veut se suicider, un autre qui aimerait regarder le match. Une rencontre inattendue, pour une réflexion sur le couple, loin du match de foot. Hors-jeu, à voir au douze dix-huit jusqu’au 4 décembre.

Mario (Angelo Dell’Aquila) et Anna (Alexandra Marcos), en bons fans italiens qu’iels sont, attendent avec impatience cette demi-finale qui doit conduire leur équipe nationale à la finale avant, rêvons un peu ! Le titre européen ! Seulement voilà, Adrianno (Paul Berrocal) et Laura (Camille Piller) ont choisi cette date pour mettre fin à leurs jours, en sautant du haut d’une corniche… celle, justement, de Mario et Anna ! En allant à la fenêtre, Mario les découvre, prêts à en terminer. Et bien sûr, alors que lui et son épouse tentent de les retenir, le match continuera à se dérouler en toile de fond, sans que personne ne le regarde.

Considérer le couple face au monde

Pendant les 90 minutes du match, les deux couples discuteront, apprendront à se connaître, tentant de repousser l’inévitable. Car, pour Mario et Anna, comme de nombreux Italiens, le foot, c’est sacré ! Alors pas question de gâcher la soirée et de mobiliser du monde pour récupérer deux corps gisant sur le bitume…  Adrianno et Laura acceptent donc d’attendre la fin de la rencontre. Rencontre. C’est bien le mot. Car ces deux couples ne se seraient jamais connus sans cet événement. Prolos et bobos, comme le dit le résumé de Hors-jeu. Mario gagne à peine de quoi payer le loyer et vivre décemment, alors qu’Adrianno écrit pour la télévision, pour un salaire bien supérieur. Quant à Anna, on ne sait pas trop, alors que Laura tente de devenir une écrivaine célèbre en rédigeant… des statuts Facebook !

On l’aura compris, ces deux couples mènent des vies sensiblement différentes. Pourtant, ce sont bien celleux qui semblent avoir la vie la plus facile qui souhaitent en finir. L’argent ne fait pas le bonheur, comme disait l’autre. C’est qu’iels sont complètement désabusés face au monde, cette société qui montre le malheur avant les belles choses, toutes ces considérations individualistes, ce culte de l’apparence… Adrianno se sent vide, à force d’écrire pour des émissions toutes plus creuses les unes que les autres. Pour autant, tout semble aller pour le mieux dans leur couple. Laura et lui s’aiment comme au premier jour, et, c’est justement pour ne pas risquer de perdre leur amour qu’iels décident d’en finir. Bref, ce soir-là, on assiste au choc de la rencontre entre deux couples aux considérations bien différentes, et Mario et Anna, qui n’ont pas grand-chose, semblent s’en contenter.

Car c’est là que le bât blesse. La rencontre et les diverses discussions qui s’ensuivent montrent d’autres facettes de leurs relations respectives, et l’image des couples unis s’effriteront peu à peu, laissant paraître quelques tensions enfouies… qu’on ne dévoilera bien sûr pas ici ! Si l’humour et la réflexion sont bien présents, on regrettera tout de même un certain statisme du texte de Lisa Nur Sultan, qui s’avère finalement assez attendu et parfois quelque peu décousu. Les questionnements autour des thématiques classiques relevant du couple n’amènent rien de nouveau. Et bien que les comédien·ne·s semblent prendre énormément de plaisir dans la mise en scène astucieuse et dynamique de Lionel Perrinjaquet, on reste un peu sur notre faim, côté fond.

Une mise en scène pour redynamiser les mots

Ce qui n’est pas le cas de la mise en scène ! Rappelons la situation de départ : un couple se trouve sur une corniche, prêt à sauter, alors que l’autre est à la fenêtre, tentant de les raisonner. Et ceci pendant une heure et demie. Peu de possibilités de déplacements donc, si ce n’est les deux moments où Laura a besoin d’aller aux toilettes, ou lorsque Mario rejoint Adrianno, pour voir ce que ça fait. Il a donc fallu trouver des astuces pour rendre le spectacle dynamique. C’est sans doute le plus gros point fort de cette mise en scène. L’astuce est simple : chacun·e dispose d’un module symbolisant un bout de mur – sur lequel s’appuient Adrianno et Laura – ou un rebord de fenêtre, duquel se penchent les deux autres. Ainsi, ces modules se déplacent au fil du spectacle, selon que l’attention est portée à un ou l’autre couple, ou même l’un ou l’autre personnage. Un imaginaire se développe dès lors, et les moments où iels se racontent des événements passés peuvent prendre vie sur l’espace scénique.

Tout est alors fait pour apporter du dynamisme à une situation qui pourrait en manquer. Rappelons ici que Lionel Perrinjaquet et sa troupe En Bonne Compagnie viennent du milieu de l’impro. Et l’influence s’en ressent ! D’abord dans l’entrée en scène : les comédien·ne·s portent d’abord des chasubles, comme des sportifs attendant d’entrer sur le terrain, et comme c’est le cas dans certains matchs d’impro. Iels s’échauffent, s’encouragent, avant que les deux premiers n’entrent en scène, sous le regard des autres qui se tiennent en retrait et observent. Leurs tenues, façon maillot de foot, font ici le lien entre les matchs d’impro et le prétexte du spectacle, avec cette demi-finale de l’Euro. On évoquera encore les mimes typiques des matchs d’impro, où il faut composer sans objets tout en faisant comprendre au public ce qu’on veut montrer. Tous les moments autour de l’échange de cigarettes sont à cet égard particulièrement bien amenés. Enfin, il y a cette réflexion sur le jeu des comédien·ne·s, qui font des commentaires sur leur jeu, dans une forme de méta-théâtre, comme s’iels étaient encore dans la création et la réflexion. Comme dans l’impro, où tout vient dans l’instant. Ces choix sont loin d’être anodins et permettent au spectacle de gagner en dynamisme.

Au final, nous passons donc un agréable moment devant ce spectacle. Et si le texte nous laisse quelque peu sur notre faim, les astuces de mise en scène et l’énergie des comédien·ne·s, qui s’éclatent véritablement sur le plateau – il n’y a pas d’autre mot – permet de compenser les quelques faiblesses d’écriture, pour un résultat tout à fait réussi !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Hors-jeu, de Lisa Nur Sultan, du 23 novembre au 4 décembre 2022 au Théâtre le douze dix-huit.

Mise en scène : Lionel Perrinjaquet

Avec Paul Berrocal, Angelo Dell’Aquila, Alexandra Marcos, Camille Piller

https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/hors-jeu-2/

Photos : © Nadir Mokdad

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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