BA7 – Critiques sur la disparition et la violence – Entre poésie, réalité et fiction

Les étudiants de l’atelier d’écriture du BA7 de français moderne de l’Université de Genève s’attellent à l’exercice de la critique. Ce matin, deux nouveaux ouvrages vous sont présentés, où le rapport entre réalité et fiction tient un rôle prépondérant. Avec Tifène Douadi, partez à la recherche d’un être disparu, avant de suivre Camille Vervoux dans les violences faites aux femmes et les extrémités auxquelles elles peuvent conduire…

À CHACUN SON FÉLICIEN

« On s’habitue tant à ceux que l’on aime qu’on oublie de s’intéresser à eux. On croit qu’ils ont toujours été tels qu’ils sont, on se trompe évidemment et il est souvent trop tard quand on en prend conscience. » (p. 25)

Telles sont les pensées qui ont guidé l’écriture de Francine Collet dans un récit sobrement intitulé Félicien. De Félicien, il ne lui reste qu’une dizaine de photos et de vagues souvenirs. Comment, dès lors, resituer son existence et éviter qu’il ne lui échappe pour toujours ? À l’instar de Patrick Modiano dans Dora Bruder, le recours à la fiction semble être la meilleure façon de retrouver un être disparu. C’est ce principe qui a conduit l’autrice genevoise à écrire son premier roman. Mêlant réalité et fiction, elle raconte la vie du personnage éponyme « telle qu’elle aurait pu être » (p. 61). La narration fait de la perception de l’individu un des enjeux clés de l’ouvrage. Les anecdotes qui le composent semblent en effet s’ériger en prétexte pour pénétrer l’intériorité de Félicien, laquelle échappe aux autres personnages.

Derrière l’apparente simplicité de l’intrigue transparaît une réelle intelligence dans l’écriture. Le lexique sobre mais subtil, l’histoire bercée par le rêve inavoué du protagoniste qui nous tient en haleine, ou encore les commentaires de l’autrice qui bordent les chapitres et s’accompagnent de photographies : autant d’éléments qui rendent ce livre tout aussi singulier qu’exaltant.

Félicien est un roman touchant sur la nécessité de profiter de ses proches avant qu’il ne soit trop tard. Parce que c’est une préoccupation largement partagée, il ne fait aucun doute que ce livre mérite une place de choix sur vos étagères.

Tifène Douadi

Référence :

Francine Collet, Félicien, Encre Fraîche, 2011, 228 p.

Entre violence et poésie

« Un rayon de soleil s’égare sur le visage de Sylvanie. Ses yeux sont fermés, mais elle le sent. Elle absorbe le filet de chaleur lénifiante, en espérant que l’immobilité de son corps suspendra le film de sa vie. Et puis le fragile filet de lumière se retire. Elle finit par se lever. » (p. 67)

« Tu t’appelles Sylvanie ! Ton nom veut dire “forêt” ! » Sylvanie, une institutrice en région parisienne originaire du Jura, peine à se défaire de ses traumatismes passés. Ayant subi des abus depuis son enfance, elle tue finalement l’homme qui la maltraitait depuis vingt ans. Néanmoins, ce meurtre ne la libère aucunement des démons de son passé ; il la pousse à se renfermer sur elle-même et rend par conséquent très complexe son rapport à autrui, et tout particulièrement aux hommes. Toutes les issues étant condamnées, Sylvanie n’a pas d’autre choix que de sombrer.

Par son style épuré et rythmé, Anna Marie Celli nous offre un roman d’une lecture fluide et agréable. Les variations énonciatives entre la première et la troisième personne lui donnent du relief ainsi qu’une puissante force émotionnelle. Ce récit fait alterner des scènes d’une grande violence psychologique et des passages poétiques. Si une atmosphère sombre domine, l’expérience de la nature joue aussi une place centrale. Cette dernière est éprouvée par le personnage de Sylvanie et se confond parfois avec elle, ce qui donne au texte une dimension presque romantique. Ainsi, non seulement le roman confronte le lecteur à des questions importantes, notamment sur la légitimité que la société accorde à la parole des femmes victimes de maltraitance, mais il ouvre aussi des réflexions d’ordre plus littéraires sur le récit à la première personne et sur l’écriture poétique. Il ne fait aucun doute que la lecture de ce roman laissera une trace chez la personne qui l’ouvre.

Camille Vervoux

Références :

Anna Marie Celli, Sylvanie, Genève, Éditions Cousu Mouche, 2019, 224 p.

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