Les réverbères : arts vivants

Dieux et déesses propulsés au ras des pâquerettes

Focus sur… une épopée en plusieurs épisodes : Le Retour d’Ulysse, tiré de l’Odyssée d’’Homère contant l’après-guerre de Troie et la triste attente de Pénélope dont l’amour constant ne laisse aucune chance aux Prétendants. Anachronismes à gogo et l’on ramène la mytho’ parmi les maux du siècle ! Une relecture d’Homère proposée par le collectif belge FC Bergman, du 27 février au 7 mars 2023 au Grand Théâtre de Genève.

Le premier acte s’ouvre sur le long monologue de Pénélope. Pénélope qui résiste, Pénélope qui espère, Pénélope qui ne craint rien d’autre qu’un vacillement infidèle dans son amour porté à Ulysse. Pénélope, dont la tristesse s’écoule comme des flots infinis. Elle devient, malgré le titre de l’opéra, l’héroïne cachée de la pièce, et ce, non parce qu’elle attend le guerrier Ulysse (ou le héros désigné), mais bien parce qu’elle suit ses intuitions, ne faillit pas dans ses valeurs et se révèle, par là, être une héroïne intrépide.

Une parenthèse littéraire nous guidera plus facilement au fil de l’opéra : la Guerre de Troie a pris fin depuis quelques années déjà et Ulysse n’est point encore de retour à Ithaque. L’on devine rapidement derrière les traits d’un preux combattant – il sort des eaux avec des restes d’algues sur les épaules –, qu’il est encore vivant mais qu’il peine à rentrer. Il semble éreinté. Tandis que les Prétendants, amassés en meute autour de Pénélope, s’occupent à grand-hâte de la succession d’Ulysse, celui-ci établit un stratagème pour revenir rapidement et se venger. Déguisé en mendiant et implorant la déesse Minerve, il devra faire face aux doutes de Pénélope, pas prête à se laisser aveugler par le premier doppelgänger d’Ulysse.

Opéra de l’infiniment petit et grand

Le collectif FC Bergman ne lésine pas sur les contrastes. Si d’abord la pièce de Monteverdi, installée au cœur d’un aéroport saute aux yeux, nous devons nous habituer aux mélodies baroques proposées par un orchestre dont l’effectif est plus frêle que d’habitude mais pas moins prenant pour autant ! La superposition de ces quelques musicien·ne·s avec la vastitude des décors en arrière-plan est surprenante. On y voit comme une confrontation entre cénacle éclairé (ou monde des idées), accoutumé à la musique baroque du XVIIe siècle et le monde moderne des masses qui ne cesse de circuler d’un aéroport à l’autre, aggloméré derrière le tapis roulant des bagages.

La musique est comme intimiste et ne ressemble pas aux grandes envolées italiennes que l’on entend tout de même souvent en ces lieux. Elle est présente en filigrane, et indispensable. Ses mouvements rappellent les émotions profondément enfouies de Pénélope et d’Ulysse qu’ils n’osent s’avouer trop fort, malgré tout : l’intime conviction de se retrouver, l’impatience, ce qui fait vibrer si fort, si loin.

Pour la folie des grandeurs, nous sommes également servis…

Crins hérissés, bouche écumante, yeux ardents : Bon Dieu !

J’aimerais saluer ici l’effet déjanté des costumes : L’incursion des dieux dans le monde des mortels est digne du carnaval de Rio. Plumes, paillettes, et accessoires s’enchainent comme pour montrer le côté grandiose des dieux et déesses devenues concepts abstraits : C’est le Temps, l’Amour couplé à Minerve qui parlent et débarquent, au premier sens du terme, atterrissent d’ailleurs souvent avec retard, au beau milieu des Hommes. Les références au monde antique sont multiples – ce qui complexifie parfois la pièce outre mesure – mais elles le sont aussi au monde contemporain et c’est ainsi que l’on nous présente les entités sur fond de crise économique grecque – un pays qui garde malgré tout son image paradisiaque de plages et d’îles suspendues au-dessus du temps. On rigole franchement lorsque le distributeur d’eau devient Neptune. L’objet des croyances est devenu simple objet reproductible, un triste sort pour Neptune !

Et, même si l’on eût apprécié de ne pas insister sur tous les tableaux, avec un massacre des Prétendants digne d’un film de Tarantino, il faut relever à quel point le collectif belge parvient à signaler avec précision l’aspect ridicule des divinités grecques, seul reliquat d’un monde ancestral.

Cette pointe d’humour est à double tranchant, elle donne à l’inexorable patience de Pénélope une dimension surannée, voire totalement hors-propos tandis que les retards des vols s’affichent par dizaines derrière elle. Comme si attendre, calculer sur le long terme et croire aux traditions n’était plus de mise. Le dernier « si » ou « oui » prononcé à l’unisson par Pénélope et Ulysse, qui se retrouvent enfin, vient malgré tout contrebalancer cette hypothèse et nous quittons le Grand Théâtre avec le frisson des amours éternelles.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Le retour d’Ulysse, d’après l’opéra de Claudio Monteverdi, par le collectif FC Bergman, du 27 février au 7 mars 2023 au Grand Théâtre de Genève.

Mise en scène : FC Bergman

Création costumes et accessoires : Mariel Manuel

Direction musicale : Fabio Biondi

Avec Mark Padmore, Sara Mingardo, Jorge Navarro Colorado, Mélantho Julieth Lozano, Mark Milhofer, Omar Mancini, Elena Zilio, Giuseppina Bridelli, Jérôme Varnier, Denzil Delaere, Sahy Ratia, Vince Yi, William Meinert

https://www.gtg.ch/saison-22-23/le-retour-dulysse/

Photos : © Magali Dougados

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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