Discours sur l’environnement : Entretien avec Caroline Meva
Les écrivains écrivent et publient de plus en plus d’œuvres dont le « discours » contient des enseignements précieux et pertinents sur la préservation et la conservation de l’environnement, dans un contexte mondial marqué par les crises climatiques et environnementales. Parlons aujourd’hui du cas de la romancière Caroline Meva.
Dans le cadre de l’atelier international « Discours sur l’environnement et le climat en Afrique, Europe et Amérique Latine », organisé à l’Université de Hanovre les 10 et 11 novembre 2023, Baltazar Atangana s’est entretenu avec la romancière camerounaise Caroline Meva, dont l’écriture fictionnelle évoque, depuis plus d’une décennie, les problèmes graves liés à la destruction des forêts, responsables du changement climatique en Afrique en général, et au Cameroun en particulier.
Baltazar Atangana : Face aux crises climatiques, que peut aujourd’hui la littérature pour les vivants ?
Caroline Meva : La littérature est un mode de communication par l’écriture, qui a le mérite de rendre compte de manière fidèle et durable des réalités vécues dans le passé, le présent et l’avenir. Il y a des écrits qui ont traversé le temps depuis des siècles, voire des millénaires, à l’exemple des hiéroglyphes de l’Égypte ancienne. La littérature s’intéresse à tous les sujets de la vie, notamment aux problèmes de l’environnement, propose des solutions qui pourront servir de tremplin pour les observateurs et décideurs d’aujourd’hui et de demain.
B.A. : Est-ce que l’inquiétude grandissante pour la survie de la planète se reflète dans la littérature en général, et africaine en particulier ?
C.M. : La littérature permet aux auteurs d’aborder tous les sujets, du passé, du présent et de l’avenir, sous toutes les latitudes, y compris les auteurs africains. À ce titre, elle s’intéresse naturellement aux défis de l’heure concernant la sauvegarde de l’environnement et de la biodiversité, indispensables à la survie de l’être humain dans son milieu naturel.
B.A. : Vous avez publié la trilogie Les Exilés de Douma et le roman La Science des sorciers de Koba. Dans vos différents textes, on voit émerger une sorte d’activisme littéraire pour la conservation et la préservation des ressources forestières et culturelles…
C.M. : Dans les œuvres sus-évoquées, l’action a lieu dans la zone forestière et passe en revue les us et coutumes de ce terroir, dans leur symbiose avec le milieu sylvestre. Elles évoquent également sous forme de fiction les problèmes graves liés à la destruction des forêts, responsables du changement climatique, qui met en danger la biodiversité et la survie même de l’humanité, car les forêts sont considérées comme des réservoirs d’oxygène, les poumons de la planète.
« Le jeune étudiant constata que […] [d]es États puissants, des myriades d’êtres humains, tels des machines infernales ou des armées de fourmis magnans, étaient en train d’empoisonner l’atmosphère et de vider la terre de toute substance vitale, grignotant et emportant pièce par pièce de larges pans de la bulle protectrice, hypothéquant de ce fait toute chance de survie de l’humanité sur la terre. Avec la disparition de la bulle de protection, la terre ne serait plus qu’un astre mort, comme les autres planètes du système solaire. Il était temps que les hommes se réveillent, prennent conscience des enjeux vitaux pour la planète terre et agissent sérieusement pour stopper la catastrophe annoncée et inévitable, si rien n’était fait. Avec une réelle volonté et une action concertée, ils pouvaient également renverser la vapeur, arrêter la destruction de l’environnement, sauver la terre et l’humanité. » (La Science des sorciers, p. 86-87.)
B.A. : À propos de cet activisme littéraire pour la préservation des ressources culturelles et forestières, qu’en est-il plus spécifiquement dans la littérature camerounaise à votre avis ?
C.M. : Au Cameroun il existe de nombreuses productions littéraires dédiées à la culture et à l’environnement forestiers – sous forme de poésie ou de prose, tels que recueils de poèmes, romans, monographies, essais, thèses, revues, articles, etc. On peut citer fort à propos une brillante thèse de doctorat soutenue par le camerounais Kenneth Toah Nsah le 11 mars 2022, à l’Université d’Aarhus au Danemark et intitulée : « La littérature peut-elle sauver le bassin du Congo ? Écocritique postcoloniale et activisme littéraire environnemental ».
B.A. : Est-ce qu’un roman engagé pour la défense de la planète est forcément plus efficace dans la prise de conscience qu’une fiction sans thèse et plus imaginaire ?
C.M. : De prime abord, que ce soit le roman engagé ou la fiction sans thèse, leur efficacité tient à leur accessibilité, leur aptitude à susciter, capter et retenir l’intérêt du lecteur par le style et la consistance du récit. Cependant, l’on concède un certain avantage au roman engagé qui a le mérite de cibler et de mieux cerner la problématique environnementale.
« Rompre ces équilibres vitaux entre l’homme et son environnement de manière inconsidérée et irresponsable, c’était courir le risque de l’éradication de toute vie sur la terre. » (La Science des sorciers, p. 86-87.)
B.A. : Pour finir, que pensez-vous de l’initiative de l’atelier international des discours sur l’environnement et le climat en Afrique, Europe et Amérique Latine, qu’organise l’Université de Hanovre en Allemagne les 10 et 11 novembre 2023 ?
C.M. : L’intérêt de cet atelier international est qu’il permet d’élargir, de décloisonner et de mettre en synergie les initiatives entreprises au niveau régional, d’élaborer une vision d’ensemble, de profiter des expériences des uns et des autres afin de mieux appréhender, mieux cerner et proposer des solutions mieux appropriées aux problèmes environnementaux dans leur globalité.
Merci à Caroline Meva d’avoir répondu à ces questions, et à Baltazar Atangana d’avoir partagé avec nous une réflexion en cours de construction.
Propos recueillis par Baltazar Atangana
Pour en savoir plus :
– Caroline Meva, La Science des sorciers de koba, Paris, Saint-Honoré, 2021.
—, Les Exilés de Douma, (trilogie) Paris, L’Harmattan, 2006-2014.
– Kenneth Toah Nsah, « La littérature peut-elle sauver le bassin du Congo ? Écocritique postcoloniale et activisme littéraire environnemental », Danemark, Université Aarhus, mars 2022./ https://scienceswatchinfos.org/en/la-litterature-peut-elle-sauver-le-bassin-du-congo-ecocritique-postcoloniale-et-activisme-litteraire-environnemental/
Photo : © Caroline Meva (2022)