Le banc : cinéma

Dune: Hollywood retourne sur Arrakis

L’Épice: le matériau le plus précieux et le plus rare de l’Univers connu. Sa valeur est telle qu’il polarise toutes les attentions au sein de ce qui constitue l’Imperium. Le jeune Paul Atréides va se retrouver au cœur d’un conflit opposant deux des plus puissantes maisons mais dont les enjeux dépassent les confins désertiques de Dune. 27 ans après Lynch, Denis Villeneuve retourne sur Arrakis à la recherche de ses vers gigantesques et de ses guerriers aux yeux bleus.

L’univers de Dune, tiré du livre éponyme de Frank Herbert, est sans doute l’un des récits de science-fiction les plus connus au monde. Pourtant, on pourrait comparer son adaptation cinématographique aux moulins de Don Quichotte tant mettre en scène une saga aussi gigantesque semble relever de la gageure. On retient ici deux essais: le film de Lynch sorti en 1984 et la mini-série diffusée en 2000. Deux versions qui n’ont, c’est le moins qu’on puisse dire, pas véritablement convaincu ni leur audience ni le lectorat de Dune. Retrouver ainsi l’univers avec la technologie actuelle au service d’un des metteurs en scène les plus intéressants pour ne pas dire l’un des meilleurs du moment semble comme la promesse d’un grand moment visuel et cinématographique.

Disons-le tout de suite, Dune est une gifle visuelle. Les deux heures et demie de ce qui constitue le premier volet de la saga nous livre des plans épiques les uns après les autres. Le travail numérique effectué est impressionnant et égale sans problème la performance de Blade Runner 2049. Le Los Angeles dystopique fait alors place aux étendues infinies et désertiques d’Arrakis peuplées de vers monumentaux et survolées par des vaisseaux qui paraissent comme de véritables forteresses volantes. Le tout offre un panorama à couper le souffle. Les plans larges s’enchaînent et nous donnent plus que généreusement la dimension épique tant attendue. Villeneuve tient ses promesses à ce niveau avec ce qui semble l’appui inconditionnel du juggernaut hollywoodien.

  Le casting vient renforcer l’aspect de ce qui pourrait être un peplum moderne. Josh Brolin, Javier Bardem et Jason Momoa, valeurs sûres, sont efficaces dans la performance de durs ténébreux qu’on leur attribue désormais d’office. Les rôles principaux sont eux tenus par les deux nouveaux jeunes premiers d’Hollywood: Timothée Chalamet et Zendaya. Peu de choses à dire sur cette dernière puisque son personnage n’occupe que brièvement l’écran en attendant le second volet. Charlotte Rampling dans le personnage de la mère supérieure et Stephen McKinley Henderson dans celui du maître assassin sont les deux que l’on retient au sein de cette pléthore d’acteurs. N’oublions pas de citer la présence de Rebecca Ferguson dans le rôle de la mère ainsi que Stellan Skarsgård et Dave Bautista dans ceux des représentants de la maison Harkonnen. Toutefois, dire que Dune brille par la performance de sa distribution serait (très) exagéré tant chacun semble ici rester dans le rôle qu’Hollywood leur a attribué sans faire trop de zèle.

Le personnage de Paul Atréides et son traitement mérite ici qu’on s’y attarde. Si la question du complexe de sauveur blanc inhérent au personnage a été évoquée à maintes reprises au cours du temps et resurgit aujourd’hui, elle est relativement écartée pour quiconque s’étant renseigné un minimum sur l’univers de Frank Herbert. Ce dernier s’est en effet toujours attaché à démonter le mythe de l’homme providentiel et les faux espoirs messianiques. Bien que porté par un Timothée Chalamet quelque peu fade, le Paul de Villeneuve est sans doute celui qui bénéficie du traitement le plus intéressant. Loin du grandiloquent Paul de Lynch ou de l’insolent de la mini-série, il est ici au contraire fragile et ses doutes internes n’en ressortent que plus accentués. Le physique est aussi un aspect qui diffère des précédents. À celui masculin des deux autres succède celui frêle et quelque peu androgyne de Chalamet. Compte tenu de la nature même du personnage et sans trop en révéler non plus, force est de dire que le choix du réalisateur fonctionne parfaitement.

Il serait aussi intéressant de dresser une rapide comparaison avec la version de Lynch.  Le résultat est en effet univoque concernant la qualité du nouveau venu. Qu’il s’agisse des couleurs extravagantes, le surjeu des acteurs au point où l’on se demande si cela est voulu ou s’ils sont juste mauvais, la version de 1984 nous a montré tout ce dont les années 80 étaient capables en matière de kitsch voir de grotesque. Pourtant certains éléments ont eu du mérite et auraient peut-être mérité d’être considérés à nouveau. Le premier est l’espace relativement important accordé à la présentation de l’univers nous permettant de nous familiariser avec le monde, ses acteurs et les différents enjeux les reliant. Cela est quasi absent de la mouture de Villeneuve et l’on a l’impression que le réalisateur prend l’univers pour acquis auprès de son audience. On aurait en effet aimé voir par exemple les raisons derrière l’émergence du marché de l’Épice ou la création de l’ordre des Bene Gesserit (tous deux dus à une révolte menée contre les machines plusieurs millénaires auparavant). L’autre élément était l’usage de voix-off révélant les pensées des différents protagonistes leur donnant  une plus grande consistance. Ainsi malgré ses nombreux cabossements, la version de Lynch possède néanmoins une certaine profondeur dont manque malheureusement cette nouvelle sortie. On passe ainsi un peu à côté de la dimension écologique pourtant à l’origine de l’œuvre de Herbert.

Il est en définitive difficile de se prononcer complètement sur Dune puisqu’il ne s’agit que du premier volet de cette saga épique. On peut par contre se prononcer sur ce qui nous est déjà présenté. Cette nouvelle version est indubitablement la meilleure réalisée jusqu’à présent. Villeneuve est à l’aise dans cet univers épique mêlant fantastique et technologie et nous offre deux heures et demie de spectacle. On pourrait toutefois regretter le parachutage dans un univers si riche dû au peu de temps accordé à son introduction. On se retrouve alors face à une sorte de barrière rendant une accroche ou une identification aux enjeux de l’histoire. Espérons que cela sera plus développé lors du prochain opus. À voir et à suivre!

Alexandre Tonetti

Référence : Dune de Denis Villeneuve avec Timothy Chalamet, Rebecca Ferguson et Josh Brolin, Canada et États-Unis, 2021 (sortie en salles le 15 septembre 2021)

Photo : © DR

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