Le banc : cinéma

È stata la mano di Dio : Sorrentino et le S.S.C. Napoli

Fabietto est un adolescent comme tous les autres vivant sans se soucier de l’avenir, entouré d’une famille aimante et haute en couleurs. Sa candeur s’efface pourtant au fur à mesure lorsqu’il doit affronter les premières épreuves de la vie. Sorrentino retrouve sa ribambelle de personnages loufoques et Maradona dans ce qui se veut être son film le plus personnel pour ne pas dire autobiographique.

Que les rapports qu’entretient Sorrentino avec Naples à travers le prisme de la Societa Sportiva Calcio Napoli fasse l’objet d’un sujet entier pourrait s’avérer intéressant. Qu’il s’agisse du personnage de Maradona évoqué mais sans être nommé dans Youth (2015) ou encore la passion que le cardinal Voiello dans la série The Young Pope (2016) entretient pour le club. Le club semble être le représentant de la ville de Naples ou plutôt un rappel des origines campaniennes du réalisateur. Il est donc logique celui-ci occupe le centre du film. Non pas tant dans le sens où le S.S.C. Napoli en soit le sujet même mais plutôt comme s’il s’agissait d’un soleil autour duquel gravitent la constellation de personnages évoluant devant nous. Constellation qui voit se diriger vers elle la comète Maradona.

Fabietto, sa famille et toute la ville frémissent à la rumeur de l’arrivée du prochain numéro 10 dont le portrait est encore présent de nos jours sur les murs ou dans les églises de Naples. Sans être vraiment inquiété de ce que la vie lui réserve, Fabietto vit entouré de ses parents (on retrouve Toni Servillo, le compère de toujours, dans le rôle du père) semblant s’aimer d’un amour indéfectible et d’une famille soudée. Sa sœur est toujours cachée dans la salle de bains et son frère, un aspirant acteur, suscite un intérêt grandissant pour le cinéma chez Fabietto même si ce dernier est manifestement plus intéressé par le football et par sa plantureuse mais mentalement fragile tante Patrizia. La famille étendue se retrouve lors du repas dominical dans une villa qui semble être une manifestation du jardin d’Eden, annonçant la disparition prochaine de l’innocence.

La foi et ses acteurs sont sans doute l’une des thématiques de prédilection de Sorrentino et È stata la mano di Dio ne déroge pas à la règle. Dès les premiers plans s’enchaînent les références avec la rencontre entre Patrizia et le Monaciello, « le petit moine », figure du folklore religieux napolitain[1]. Ce qu’il y a de bien avec Sorrentino, c’est le fait qu’il y a toujours de quoi dire tant il s’efforce de remplir à ras bord ses films de références et de symboles. Il est cependant parfois difficile de ne pas ressentir une certaine indigestion due à leur omniprésence et parfois leur lourdeur. À certains égards, on pourrait presque les comparer aux rires enregistrés dans les sitcoms ou les sketchs américains afin de signifier le passage d’un gag. Dans le cas de Sorrentino, c’est à travers entre autres l’usage de ralentis, de musiques et compositions plus ou moins étudiées qu’il exprime un moment de beauté. Chacun de ses procédés sont en soit tout à fait légitimes sauf lorsqu’on les utilise systématiquement comme si Sorrentino voulait être bien sûr que son audience a bien compris qu’il faisait de l’art. S’en dégage un sentiment de lourdeur où on a l’impression que le réalisateur tient à nous forcer la main sans nous laisser la liberté de nous évader dans son univers.

Pis encore, leur trop grand usage  pour effet de leur faire non seulement leur valeur mais aussi de produire l’effet d’assister à une succession de moments esthétisants et un peu creux. À dire vrai, Sorrentino donne généralement l’impression qu’il souhaite se placer dans la lignée de Fellini avec son univers peuplé de superlatifs et d’excentricités. Fabietto, l’alter-ego de Sorrentino, le rencontre d’ailleurs de manière interposée lors d’un essai de son frère. Et c’est peut-être l’un des aspects attachants du films. La rencontre de Fabietto avec le cinéma est ses personnalités (parfois cruelles et pompeuses mais toujours excentriques) représente l’affirmation de son identité propre en opposition à celle de sa passion pour le football, toujours vivante mais partagée par toute la ville.

Le film fonctionne alors comme une rencontre entre un decrescendo (le football) et un crescendo (le cinéma). Le point de transition entre les deux intérêts est le moment historique et infâme éponyme au film[2]. Fabietto se rend alors compte de la faillibilité du prophète Maradona et se détache progressivement de la réalité « minable » pour la magie que lui promettent les plateaux de tournage. Modestie ou ironie (peut-être les deux), Fabietto fait alors sa profession de foi cinématographique en nous jurant qu’il n’a « absolument rien à dire ». Seule conclusion logique, comme Moraldo dans I Vitteloni, il décide de quitter le confort devenu morbide de son foyer pour partir pour Rome.

En définitive, È stata la mano di Dio est en sans doute le film le plus personnel de Sorrentino de par la thématique abordée. On pourrait le mettre en miroir avec Youth où il nous racontait, toujours sous les yeux de Maradona, les adieux à l’art d’un réalisateur en fin de carrière. Cependant, la mise en scène ne surprend guère tant elle ressemble aux précédents opus et si l’on a l’habitude des films de Sorrentino, on pourrait souhaiter de plus grandes prises de risques de la part d’un des réalisateurs les plus adulés et reconnus de sa génération. À voir cependant pour la déclaration d’amour d’un artiste à sa ville natale.

Alexandre Tonetti

Référence : È stata la mano di Dio de Paolo Sorrentino avec Filippo Scotti, Toni Servillo et Teresa Saponagelo, Italie, 2021 (sortie en salles le 24 octobre 2021)

Photo : ©DR

[1] Il peut, dans une certaine mesure, être comparé au Leprechaun puisqu’il s’agit d’un trickster. Toutefois, il demeure fondamentalement bon et ses actions traduisent avant tout de la sympathie, de l’empathie ou quelconque autre appréciation. Une rencontre avec lui est synonyme de bonne fortune.

[2] La “Main de Dieu” se réfère au match opposant l’Argentine à l’Angleterre lors de la Coupe du monde de 1986 où Maradona a marqué de manière volontaire un but de la main.

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