En route pour Dulte
À l’Orangerie, deux trentenaires à la recherche de L’âge adulte enchantent le public dans un spectacle qui mêle naïveté de l’enfance, apprentissage de la vie, chansons, humour absurde et thématiques profondes, le tout à bord d’une voiture en tricot.
Tout commence à l’arrivée de Norma (Noémie Griess) et Jeanne (Judith Goudal) sur la scène, dans leurs costumes trop grands pour elles. La raison en est simple : elles reproduisent le spectacle de leur enfance, sur ce qu’elles imaginent devenir quand elles seront grandes. S’ensuit la lecture de la lettre qu’elles avaient écrite et enterrée sous le plus bel arbre du monde. Vite, il faut aller voir si leurs prédictions de réalisent, avec cette grande question sous-jacente : quand sait-on qu’on est adulte ? Ni une, ni deux, elles embarquent dans leur voiture en tricot, direction Dulte ! Sur le chemin, elles s’interrogent, entre dialogues et chansons, sur les étapes de la vie jusqu’à Dulte. Y parviendront-elles un jour ?`
À Bsurde et à Prendre : deux étapes indispensables
Ce qui frappe dans L’âge adulte, c’est l’humour absurde qui émaille tout le spectacle. « On va aller à Dulte ! » s’exclame rapidement Jeanne. Le ton est donné. Par la suite, les jeux de mots et autres blagues potaches sont nombreux·ses. Bien sûr, on cherche par ce biais à désamorcer le côté dramatique et un peu effrayant de ce voyage vers L’âge adulte, mais cela révèle encore chose. Norma et Jeanne sont encore sous le joug de la naïveté de l’enfance, ou de l’adolescence, elles qui ne connaissent pas encore grand-chose de la vie. Alors que l’une rêvait de liberté et rooftops, l’autre se voyait dans une vie bien rangée, préoccupée avant tout par ses enfants et ses impôts. Cet esprit candide traverse ainsi tout le spectacle : on pense à la voiture en tricot, au quiproquo autour du permis de conduire, à cet arbre qui nous rappelle nos bricolages d’enfance, aux costumes qui sont ceux qu’elles avaient imaginés dans leur prime jeunesse. Tout le décor et la scénographie imaginée par Vanessa Ferreira Vicente nous plongent ainsi dans cet esprit de deux jeunes filles qui doivent apprendre à grandir, mais ne savent pas vraiment ce qui les attend.
En chemin, donc, elles apprennent beaucoup. Même si la forme que prend leur voyage est de l’ordre de l’imaginaire, la métaphore de la vie est bien amenée. Les deux jeunes femmes se heurtent à certaines désillusions, aux doutes ; elles se confient ou gardent parfois les choses pour elles. Finalement, au fil de ce voyage, elles passent par toutes les étapes qui émaillent la vie, en grandissant, jusqu’à devenir adultes. Il faut apprendre à accepter l’autre, même si ses objectifs, sa vision des choses et ses valeurs sont différentes. Au fond, c’est cela grandir et devenir adulte. Quant à savoir si on le devient totalement un jour…
Comme dans une comédie musicale
L’âge adulte est aussi marqué par de nombreuses chansons, en solo ou en duo. Les compositions aux allures électro-pop sont signées Marion Josserand et les chorégraphies qui les agrémentent Milo Gravat. Ces chansons, donc, donnent le ton : entraînantes ou plus mélancoliques, elles oscillent entre introspection et partage et permettent d’exprimer les sentiments et pensées les plus profondes par un autre biais que le dialogue. Nos vies, à toutes et tous, sont aussi rythmées par la musique. Selon nos humeurs, nous écouterons des airs tristes ou des paroles inspirantes. Ici, les chansons interprétées évidemment en live par les deux comédiennes donnent cette couleur au spectacle. Sans oublier les lumières qui les accompagnent : entre projections sur le drap blanc en fond de scène et jeux de lumières selon les humeurs des personnages, Quentin Brichet apporte lui aussi sa pierre à l’édifice de ce spectacle très complet dans toutes ses dimensions.
L’âge adulte est ainsi un spectacle difficile à définir, dans sa forme que dans le fond. Empruntant de nombreux chemins, Noémie Griess et Judith Goudal nous emmènent dans leur univers qui nous enchante, nous fait rire, réfléchir, penser, qui nous émeut aussi. Alors, on se demande si on a assisté à un voyage initiatique, une comédie musicale, une autofiction… sans doute un peu de tout cela, car on imagine bien qu’elles ont mis beaucoup d’elles dans leur histoire. En espérant que certains événements narrés sont seulement fictionnels… Et puis, on se retrouve aussi dans ce qu’elles racontent, dans ce récit de la vie, de la manière dont on se rapproche de L’âge adulte, en tentant de toujours garder, aussi, une âme d’enfant. Ce que parvient parfaitement à retranscrire ce spectacle. « L’important ce n’est pas la destination, mais le voyage », dit l’adage. Et si on ne l’atteignait jamais totalement, cette destination ?
Fabien Imhof
Infos pratiques :
L’âge adulte, de Noémie Griess et Judith Goudal, du 7 au 18 août 2024 au Théâtre de l’Orangerie.
Mise en scène : Noémie Griess et Judith Goudal
Avec Noémie Griess et Judith Goudal
https://www.theatreorangerie.ch/events/lage_adulte
Photos : ©Lucy Vigoureux