La fontaine : diversLa fontaine : musiqueLes réverbères : arts vivants

Le Menuhin Gstaad Festival veut se rapprocher de la jeune génération

Le Menuhin Gstaad Festival, du 12 juillet au 31 août, c’est un chapelet de concerts où défilent les plus grand·e·s interprètes de la planète dans un décor de rêve, de collines vallonées et de sommets défiant de leurs cimes les randonneurs aguerri·e·s.

Depuis 1957 ce festival excelle dans ces choix et rassemble les mélomanes et les amoureux·ses de la musique. En 2023 le festival a adopté un concept innovant et souhaite décorseter la musique classique. Davantage par son image que par sa forme la musique classique est trop souvent perçue comme une musique « sérieuse ». Sous le titre Transformation Christophe Muller, directeur du festival depuis 25 ans, entend développer le programme sur trois axes : Trans-Mission, Trans-Cendance et Trans-Classique, ouvrant ainsi un champ de possibles dont cette édition 2024 est le témoin.

Trois concerts, deux approches

Sol Gabetta, un rayon de soleil dans le ciel du Menuhin Gstaad Festival

Ce samedi 2 août en l’église de Saanen, Sol Gabetta, la violoncelliste qu’on ne présente plus, a enchanté un public de mélomanes dont les fervents applaudissements l’ont rappelée par 2 fois.

Sol Gabetta c’est l’engagement total et virtuose musicalement, mais c’est aussi, à l’occasion de ce concert, la volonté de rendre au monde de la musique, celle que sa condition de femmes a écartée pour finalement disparaître dans les abysses d’une mémoire collective.

C’est dans cet esprit que Sol Gabetta répond à l’invitation du Menuhin Gstaad Festival dans le cadre de son concept Trans-Mission. Elle rend un vibrant hommage à celle qui fut la première violoncelliste professionnelle de l’histoire et qui a osé embrasser de ses jambes cet instrument un peu trop sensuel : Lisa Cristiani. C’est dans la première partie du XIXème siècle que Lisa Cristiani entreprend une tournée en Europe où elle donnera de nombreux concerts. Sa virtuosité inspire de nombreux compositeurs à écrire pour cet instrument.

Sol Gabetta voit en elle la véritable pionnière de l’utilisation virtuose du violoncelle: celle par qui des maîtres comme Saint-Saëns et Lalo, et plus tard Dvořák et Tchaïkovski, ont découvert son immense potentiel romantique.

C’est sur les traces de cette pionnière qu’elle élabore un programme original autour de différentes pièces pour violoncelle. On y retrouve, en autre, Offenbach, Puccini, Schubert, Rossini et Alyabiev. Le quintet qui l’accompagne, bien que dans une formation ad hoc, est en parfaite harmonie. Grâce à une complicité et à l’écoute attentive de chacun·e, l’équilibre est formidable. Le violoniste, Dmitri Sirnov engagé au Bâle Kammerorchester depuis 2019 tient le quintet avec une énergie fougueuse. La contrebassiste Uxia Martinez Botana tient aussi une place prépondérante. Très engagée dans son jeu, son charisme est impressionnant et son attention expressive est rassembleuse.

Sol Gabetta entre en scène détendue et souriante dans une tenue au design japonais. Lorsqu’elle pose son archet sur les cordes, c’est comme une brise fraiche qui souffle soudain dans l’église. Son jeu sobre, clair et sans affectation fait merveille. La violoncelle chante dans un sublime legato, et ce que son expression révèle avec pudeur touche l’âme. On suit un chemin musical structuré, limpide et on est sous le charme simple de ce flux musical qui semble couler comme l’évidence même. Extrêmement bien entourée, le quintet a le son un peu feutré des orchestres chambristes d’autrefois, un son plein de ferveur et de mélancolie.

Dans Solovey une pièce de Alexander Alyabyev, c’est en duo que Sol Gabetta et son complice, le pianiste Sergio Ciomei, nous livrent une version inspirée où piano et violoncelle s’entrelacent dans un équilibre parfait au fil de la partition. Et c’est sur les fantaisies sur deux airs russes de François Adrien Servias, surnommé le Paganini du violoncelle, que le concert se termine avec brio avant un généreux bis.

(À retenir que Sol Gabetta sera en tournée en Suisse en 2024 et 2025).

Lea Desandre, une artiste lyrique qui n’a pas peur de casser les codes

Le dimanche 5 août, à quelques kilomètres de Gstaad, c’est en l’église de Rougemont que le Festival accueille Lea Desandre, mezzo-soprano, que de nombreuses scènes lyriques se disputent, avec l’excellent ensemble Jupiter, et Thomas Dunford pour un récital d’airs baroques. Forte des années passées aux Art florissants avec William Christies, c’est avec une parfaite maîtrise vocale et beaucoup de délicatesse qu’elle interprète les songs de John Dowland (1563-1626), puis des airs de Purcell dont le fameux air de la mort de Didon, When I am laid in earth, dont elle capte toute la tristesse résignée, exécutant un dernier et magnifique la aigu pianissimo, toujours un enjeu pour un mezzo-soprano.

Thomas Dunford, lui, ponctue ce parcours baroque à deux reprises avec un clin d’œil sous forme de chansons, une du charismatique Bob Dylan et l’autre des Beatles s’accompagnant de son luth. Une première fort réussie qui montre que musique classique et pop peuvent faire bon ménage lorsque la musicalité et l’esthétique restent de la partie. Lea Desandre et son ensemble Jupiter, ainsi que son complice Thomas Dunford font partie de cette nouvelle génération d’artistes qui n’ont pas peur de faire dialoguer différentes musiques.

Un concert qui ne manque pas de panache et d’audace et qui illustre parfaitement la notion de Trans-Classique.

Vivi Vassileva la percussionniste branchée au 100’000 volts !

Toujours dans l’esprit Trans-Classique, le 5 août le duo Vivi Vassileva, multi percussionniste, et Lucas Campara Diniz, guitariste, envoie du 100’000 volts dans la petite église de Boltigen. Vivi Vassileva fait partie de cette nouvelle génération que rien n’arrête et dont l’énergie ne rivalise qu’avec son incroyable virtuosité. C’est sur des partitions écrites pour le duo par des compositeurs actuels que ce dernier se lance dans une suite de pièces qui s’enchaînent follement. Sur son vibraphone, Vassileva joue Bach, Piazzola, Jost,…, avec un sourire qui en dit long sur son état d’esprit. Elle semble s’amuser, jouant de deux mailloches dans chaque main. C’est une chorégraphie gracieuse qu’elle offre à l’auditeur·ice/spectateur·ice ainsi que des sonorités raffinées qu’elle extrait de cet extraordinaire instrument percussif et mélodique à la fois, très peu utilisé dans la musique classique.  Sa respiration scande ses mouvements quand elle ne joue pas de sa voix pour ponctuer une phrase musicale. Son complice, et compagnon à la ville, l’accompagne, la suit à la guitare avec un jeu confirmé.

Le courant entre ces deux ne passe pas par la fibre optique mais bel et bien par des voies que seule la musique et l’âme peuvent emprunter.

Mais cette musicienne inclassable toujours en recherche de nouveaux sons se lance dans une pièce de Gregor A. Mayrhofer : recycling concerto, où elle joue de bouteilles en pet dont elle sort des sons surprenants, n’hésitant pas à utiliser son corps comme instrument de résonance.

Vivi Vassileva explore, découvre et transforme des objets quotidiens en instruments de percussion, elle le dit «…nous autres percussionnistes nous sommes une forme d’éclaireur pour la musique classique, nous ne nous contentons pas d’accepter mais nous réclamons de nouveaux instruments car nous avons avons soif de tout : de savoir, de nouvelles techniques de jeu, d’autres cultures…» Le souffle de leur performance à Boltingen en est la démonstration électrisante.

Le Menuhin Gstaad festival est en pleine transformation et s’ouvre à des pratiques différentes, à une écoute plus ouverte, à des codes moins contraignants, bref : un vent nouveau souffle sur Gstaad et vous avez jusqu’au 31 août pour en profiter.

Katia Baltera

Pour en savoir plus :

https://www.gstaadmenuhinfestival.ch

Photos : ©Menuhin Festival (banner), ©Julia Wesely (Sol Gabetta), ©Julien Bennamou (Lea Desandre), ©Hugo Thomassen Adams (Vivi Vassileva)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *