Enquête sombre et mystique au Théâtricul
Avec Dans l’ombre de mon prédateur, Floriza Flor signe un texte intriguant, pour une pièce qui ne l’est pas moins, avec une dimension mystique et une histoire familiale complexe. Prêt·e·s à entrer dans cette folie au Théâtricul, jusqu’au 1er décembre ?
Le texte de Floriza Flor s’inspire de l’histoire de Marcel Barbeault. Ce tueur a sévi dans les années 70 dans la région de Nogent-sur-Oise, assassinant toutes ses victimes le soir ou la nuit, d’où son surnom, repris dans la pièce, de « Tueur de l’ombre ». Et comme notre tueur, le rapport à la mort de sa mère semble être un indice clé pour comprendre sa psychologie. Dans le spectacle, une vieille bigote (Floriza Flor) se rend compte qu’elle constitue le seul lien entre toutes les victimes. Voilà de quoi tourmenter son esprit. De révélations en révélations, en comprenant le rapport qu’elle entretient à son frère, et celui à la mort de sa mère quelques années plus tôt, des nouveaux éclairages se font sur toute l’histoire. Sans oublier les deux autres étranges personnages que sont le gardien (Olivier Guibert) et l’inspecteur venu d’ailleurs (Karim Abdelaziz). Tout cela nous conduit dans une enquête et complexe et particulièrement sombre…
Spectacle schizophrénique
Thomas Laubacher, qui devait interpréter le rôle du frère, ayant malheureusement dû se retirer peu de temps avant la première, et devant l’impossibilité de le remplacer dans un délai aussi court, Floriza Flor et José Ponce, qui l’assiste à la mise en scène, ont dû procéder à plusieurs adaptations. Cela passe par des coupes dans le texte, mais aussi et surtout un changement de rôle pour Floriza Flor. La voilà qui se retrouve à interpréter à la fois le frère et la sœur. Le rapport entre les deux s’en voit forcément modifié. On aurait été curieux·se de voir la version originale, pour comparer. Quoiqu’il en soit, ce choix de modification de rôle donne une dimension schizophrénique au spectacle. Celle-ci s’accentue avec les photos diffusées par moments sur l’écran en fond de scène, où l’on voit clairement le frère et la sœur[1]. S’agit-il de deux personnes distinctes ou d’un dédoublement de la personnalité ?
Tout le spectacle joue sur cette ambiguïté et cela fonctionne très bien. Il y a bien sûr quelques changements de costume pour faire comprendre qui du frère ou de la sœur nous avons sous les yeux, mais en ne modifiant pas grand-chose dans la manière de les interpréter, Floriza Flor joue sur le fil du questionnement. Avec une performance pleine d’intensité, elle met l’accent sur cette forme de folie que vivent le frère et la sœur, qu’il s’agisse de schizophrénie, ou simplement d’un traumatisme qui les a marqué·e·s et qu’iels ne peuvent surmonter. Les révélations induites par l’avancée de l’intrigue permettent d’en voir les origines et d’en effleurer la complexité. On comprend mieux tout le passif qui les a conduit·e·s à être comme iels sont aujourd’hui. Et avec les deux autres personnages dont les rôles dans l’histoire ne sont pas toujours très clairs, cela ne facilite pas les choses…
Dimension mystique
Lors de notre entrée dans la salle, nous sommes accueilli·e·s par le gardien, très impressionnant, qui se tient tout proche des gradins. Il récite des versets de la Bible et énonce les avertissements d’usage, quant aux téléphones portables. Une manière originale de procéder, mais qui en dit également beaucoup sur ce personnage. La majeure partie de son texte est conçue de passages de la Bible ou d’autres œuvres, qu’il se répète en boucle. De quoi donner une dimension étrange et mystique à ses propos, qui ne sont jamais totalement explicites, car emplis de métaphores. L’ambiguïté sur son rôle et son rapport à la famille ajoute donc à la folie que l’on ressentait déjà. Comme si tout était flottant, en suspens. Ajoutons à cela le côté très croyant de la vieille bigote, qui voit dans le tueur une figure diabolique. Le fait que le tueur n’assassine ses victimes qu’à la tombée de la nuit nous en dit aussi long sur le mystère qu’il cherche à entretenir.
Même les armes des crimes, présentées par l’inspecteur venu d’ailleurs, indiquent une dimension rituelle. Il ne s’agit pas de couteaux classiques, mais d’armes blanches étranges, entourées de bandelettes… Y aurait-il un lien avec de sombres croyances ? On n’en saura rien. Mais ce qui frappe également, ce sont les discours du frère sur la mère, qui semble toujours présente à ses côtés, malgré sa disparition des années plus tôt. Comme s’il ne pouvait se défaire de son ombre. On pourrait alors facilement se perdre dans diverses élucubrations s’il n’y avait pas l’intervention de Michel Barras, en vidéo. Ses propos sont beaucoup plus factuels, comme dans une émission d’enquêtes, ou un témoignage résumant les faits auprès des institutions judiciaires. Son rôle permet de poser un cadre, de revenir dans une dimension plus réaliste et de comprendre toutes les interrogations qui demeurent face à cette étrange affaire. De quoi créer un parfait pendant à la dimension mystique de ce spectacle.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Dans l’ombre de mon prédateur, de Floriza Flor, du 12 novembre au 1er décembre 2024 au Théâtricul.
Mise en scène : Floriza Flor, assistée de José Ponce
Avec Michel Barras, Olivier Guibert, Karim Abdelaziz et Floriza Flor
Photos : ©Zaq Guimaraes
[1] Ndr : ces photos ont été prises en répétition avant le retrait de l’acteur.