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Mon nom dans le noir (Jocelyn Nicole Johnson)

Aujourd’hui, nous vous proposons deux critiques, consacrées à Mon nom dans le noir (Jocelyn Nicole Johnson).

Ces critiques ont été produites dans le cadre de l’Atelier d’écriture du Département de langue et littérature françaises modernes de l’UNIGE (Université de Genève). Elles sont signées par Angela Allemand et Amelia Ligabue.

Bonne lecture !

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Trauma insurmontable

Dystopie. Ce roman d’anticipation de Jocelyn Nicole Johnson n’offre aucune sorte de répit. Emporté et submergé par l’intensité des évènements, ainsi que par la chaleur étouffante de la Virginie, qui suinte à travers des phrases courtes et nerveuses allant à l’essentiel, on partage la stupéfaction et la peur des protagonistes face à cette situation consternante. Inspirée par les manifestations « Unite de Right » à Charlottesville en 2017 et l’assaut du Capitole de janvier 2021, Johnson imagine des États-Unis plongés dans l’anarchie par l’absence de gouvernement, dévastés par des intempéries désastreuses, où les suprémacistes blancs prennent le pouvoir de la capitale de l’État de la Virginie et massacrent ses habitants noirs.

Accompagnée de sa grand-mère MaViolet, Da’Naisha, héroïne et narratrice, parvient à s’échapper in extremis avec quelques voisins du quartier de First Street. Elle les emmène au domaine de Monticello, demeure ayant appartenu à Thomas Jefferson, homme d’État américain. Ce lieu, emblématique par la problématique de l’esclavage qu’il incarne (600 esclaves lui ont appartenu), affecte aussi Da’Naisha et sa grand-mère, descendantes de Sally Hemmings, esclave, maîtresse de Jefferson et personnage historique avéré. Cette imbrication de faits réels une des constituantes essentielles du récit. On apprend également que le troisième président des USA était bien conscient des conséquences que l’esclavage faisait peser sur les Noirs, ainsi que des « préjugés profondément enracinés » des Blancs envers eux. Sa proposition : que les esclaves affranchis s’en aillent, car s’ils restaient l’une ou l’autre race serait exterminée. Propos prémonitoire ? Johnson semble le penser. Ce roman, qui fait écho à une actualité alarmante, n’est pas une lecture facile, mais assurément captivante et nécessaire.

Angela Allemand

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Haine et solidarité : dans l’Amérique de Mon nom dans le noir

Charlottesville, un futur proche : c’est le point de départ choisi par Jocelyn Nicole Johnson pour son premier roman, Mon nom dans le noir. Après des années de conflits raciaux, aucun retour à la normale ne semble être possible. C’est dans ce contexte que grandit Da’Naisha, narratrice de cette histoire, élevée par sa grand-mère MaViolet. Lorsque les émeutes atteignent son quartier, elle décide de fuir avec les autres habitants. Jeunes ou âgés, noirs ou non, ils trouvent refuge dans un endroit particulier : Monticello, l’ancienne plantation de Thomas Jefferson, rédacteur de la Déclaration d’indépendance et esclavagiste à ses heures perdues.

La petite communauté y découvre alors un havre de paix. Cependant, de manière aussi progressive qu’inéluctable, des tensions apparaissent : les milices se rapprochent, et certains secrets ne semblent pas résister aux fantômes de Monticello. Car derrière ses salons feutrés se dessinent les vies des centaines d’esclaves qui y ont été exploités. Le paradoxe du projet américain est personnifié dans toute sa splendeur : les tensions raciales viennent effriter la liberté tant rêvée, les idéaux libéraux sont bafoués par la domination des uns sur les autres.

Les intentions narratives de Jocelyn Nicole Johnson sont faciles à cerner : dévoiler un aspect peu reluisant de l’histoire américaine et revenir sur les violences mises à nues à Charlottesville en 2017. Y parvient-elle ? Certainement. Avec une intrigue parfois trop facile à saisir, et aidée par la traduction récente de Sika Fakambi, qui capture les mots de l’Amérique moderne. Demeure une histoire touchante, avec de beaux personnages.

Amelia Ligabue

Références :

Jocelyn Nicole Johnson, Mon nom dans le noir, trad. de l’anglais par Sika Fakambi, Albin Michel, 2024, 214p.

Photos : ©Magali Bossi (banner), Albin Michel (couverture)

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