Et à la fin, est-ce toujours la montagne qui gagne ?
En octobre 1972, un événement marque les esprits : le crash d’un avion de la Fuerza Aérea Uruguaya dans les Andes. Un livre en a été tiré, adapté à plusieurs reprises au cinéma. La dernière date de 2023, dans une co-production hispano-uruguayenne, reprenant le titre du roman : Le Cercle des neiges (La sociedad de la nieve).
Octobre 1972 : l’équipe de rugby uruguayenne des Old Christians Club part pour le Chili en avion, accompagnée de leurs familles et ami·e·s. Mais les conditions climatiques difficiles conduisent le pilote à entreprendre une manœuvre d’évitement dangereuse d’un pic montagneux, qui échoue. Plusieurs passagers meurent sur le coup. Les survivants doivent s’organiser dans des conditions extrêmes, entre le froid, l’absence de nourriture, la neige et les blessures de certain·e·s, en attendant que les secours ne les retrouvent. Mais alors que les jours passent, des décisions difficiles s’imposent, notamment concernant la nourriture. Et alors que de plus en plus de survivants finissent par succomber, de nombreuses péripéties surviennent, pour une durée totale de 72 jours.
Une aventure humaine
Au vu de la situation, les humains doivent repousser leurs limites. Physiques d’abord, en résistant au blessures causées par le crash, qui menacent de s’infecter malgré l’intervention d’un étudiant en médecine présent à bord, mais aussi pour ne pas devenir fou face au manque d’hydratation, de nourriture et à cause du froid. Mentales ensuite, car des décisions compliquées, voire hors de la morale, devront être prises. Le récit des événements est pris en charge par Numa Turcati, l’un des derniers survivants, qui ne rentrera malheureusement pas au pays à l’issue des 72 jours. Il raconte comment une communauté s’est formée, marquée par l’entraide entre les différents membres et la répartition des tâches, en fonction des habiletés et qualités de chacun. Tous ont leur importance, du médecin à celui qui s’y connaît en mécanique, en passant par les deux frères bouchers. Les différentes scènes montrent bien l’utilité de chacun et la solidarité qui règne : on voit ainsi les moments de décompression, avec toute la complicité qui règne entre eux et la foi inébranlable de certains. Les réalisateurs ont également choisi d’incruster le nom et âge de chacune des victimes, au fur et à mesure des décès et de la découverte des corps. Comme pour ne pas les oublier, sous la forme d’un joli hommage.
Le Cercle des neiges montre ainsi toute la solidarité qui règne dans cette communauté de fortune, mais aussi les désaccords, exacerbés dans de telles conditions. L’oscillation entre ces différents éléments contribue à l’excellent rythme de ce film, qui ne tombe pas dans un excès de lenteur, et ne conduit ainsi pas à l’ennui. La narration aide également, en ajoutant une dimension personnelle et une focalisation depuis l’intérieur des événements qui nous aide à entrer en empathie avec eux.
Le travail du son et de l’image
Les images du film sont magnifiques, avec un paysage paradoxalement paradisiaque : des montagnes, de la neige, du soleil, le tout dans une luminosité extrême. Mais le danger n’est jamais loin, et les contrastes qui s’installent le rappellent très bien : la lumière change d’un coup, pour devenir sombre et rougir, montrant le péril dans lequel se trouvent les survivants. La montagne gagne toujours, dit-on. La manière dont leur physique change est également montrée de manière subtile, sans en dire trop. On voit par exemple l’un des survivants tenter de refermer sa ceinture après ses besoins, sans y parvenir, le nombre de trous n’étant plus suffisant. Les quelques images d’archive qui égrainent le début et la fin du film contribuent également à marquer cette évolution : entre les sourires des rugbymen bien portants avant le départ et leur allure squelettique et leurs traits marqués à la fin, malgré le soulagement d’avoir été secourus, quelque chose a changé. Et on ne parle que de leur apparence…
Le travail du son est également à souligner, avec quelques scènes marquantes, est également à souligner. On évoquera ici les cris de joie, lorsque l’un des survivants parvient à faire fonctionner la radio, avant que le son de celle-ci ne couvre les pleurs de tout le monde, de manière feutrée, alors que la voix du présentateur annonce que les recherches vont être abandonnées. On perçoit toute la détresse qui s’empare d’eux, et ce changement rapide de l’espoir à la désillusion la plus totale. On parlera aussi de la panique, avec des propos pas toujours cohérents, lorsque la carcasse s’enfonce dans la neige et qu’on peine à retrouver certains survivants. L’inquiétude est sincère et marquante. Heureusement, il y a aussi des scènes de liesse, comme le moment où les derniers survivants seront finalement secourus, leurs cris de joie recouvrant les bruits de l’hélicoptère qui les survole.
Au final, Le Cercle des neiges s’avère une belle révélation, avec une dimension humaine très bien marquée, sans tomber dans le sentimentalisme excessif. Le rythme est très bien construit également, pour faire de ce film un magnifique hommage aux victimes du crash.
Fabien Imhof
Référence :
Le Cercle des neiges (La sociedad de la nieve), réalisé par Juan Antonio Bayona, Espagne-Uruguay, 2023.
Avec Enzo Vorgincic, Matías Recalt, Agustín Pardella, Tomás Wolf, Diego Vegezzi…
Photos : ©Quim Vives/Netflix