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D’après photographie : Prise de tête

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Amaryllis Bosson qui prend la plume. À partir d’une photo (que nous vous laissons le soin d’imaginer), elle invente une scène qui a des petits airs d’humour absurde… ou pas. Bonne lecture !

* * *

Prise de tête

Un homme seul est assis sur une chaise face à une forêt. La tête baissée, le crâne en feu, il semble attendre. Un second homme le rejoint. Alors, l’image se met à parler.

  • Salut ça t’embête si je m’assois à côté, juste-là dans l’herbe ?
  • J’ai désespérément cherché un lieu calme où m’installer. Ça fait une heure que je tourne dans le quartier. Il semblerait que ce soit le seul espace calme ici.
  • C’était.
  • J’ai une horrible migraine. J’admire cette douleur pour son caractère impérieux. Elle s’impose. Sans autre. Ensuite, elle consume ton âme sans vergogne. C’est une douleur… Tu ne peux pas savoir. Le seul remède, c’est le calme et l’ombre. La lumière, pour une migraine, c’est comme de l’air sur un brasier.
  • C’est vraiment beau, comme endroit. Les villes manquent terriblement de verdure. Les seuls espaces verts que l’on peut y trouver sont généralement morbides et la population qui les occupe est triste à mourir.
  • Ils sourient tous, tout le temps. Ils ne s’arrêtent jamais. Surtout les parents qui viennent promener leurs marmots. Ils les regardent d’un air abruti comme si c’était la plus belle chose qu’ils aient jamais vue.
  • Je te le dis, ce qu’ils voient, c’est leur jeunesse à eux, leur liberté avant qu’ils aient commis l’incommensurable erreur d’avoir une progéniture. Ça se voit, leurs sourires ne sont pas rayonnants, ils sont seulement jaunes et il n’y a rien de plus triste que des soleils froids. Quelle bande d’hypocrites.
  • Ah, ce calme. J’adore ce fond sonore, c’est très relaxant. Tu sais qu’il existe des bougies qui reproduisent le son exact de ce crépitement ? Ce qui est malheureux, c’est qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’y ajouter des arômes entêtants. Tu vois, le genre d’arôme qui prend vraiment la tête.
  • Mmh, je vois.
  • Mais c’est qu’il parle ! À un moment, je me suis demandé si tu ne t’étais pas endormi. Tu sais, la chaleur peut avoir un effet engourdissant. Méfie-toi, ça ramollit. Un conseil : une bonne douche froide te ferait du bien. Mais bon, après tout, c’est toi qui vois.
  • Je m’en fumerais bien une, tiens. Tu te rends compte que c’est interdit dans la plupart des lieux publics ? Les gens deviennent tellement réacs’, tout tourne au mélodrame. On n’a plus le droit de rien faire. Quelle société, j’te jure. Soi-disant que la fumée dérange. À vue d’œil, je dirais que ça ne te dérange pas toi. Mais arrête-moi tout de suite si j’ai tort.
  • C’est bien ce que je pensais. J’ai un véritable talent pour cerner les gens.
  • Mmh
  • T’aurais pas du feu par hasard ?
  • La cigarette, c’est vraiment une bonne amie. Oui je sais, cette phrase est d’une banalité affligeante. Parfois, je me demande s’il ne se passe pas quelque chose de central dans ces lieux communs. Tu ne crois pas qu’il y ait quelque chose dans les clichés, les banalités ? Ne serait-ce pas le berceau de l’imaginaire collectif ? Tu ne trouves pas que je suis vraiment doué pour les réflexions profondes ? C’est rare. À bien y penser, je dirais qu’il n’y a que les artistes pour négliger le banal. Tu sais pourquoi ?
  • Eh bien, je vais te le dire : ce sont de grands égocentriques. S’ils sont négligents à cet égard, c’est par souci de distinction, pour émerger du commun. Leur norme, c’est l’anti-norme, en un mot : l’o-ri-gi-na-li-té. Rien de plus insupportable. Ils imaginent alors des choses saugrenues, impossibles, irréelles. Ils ne sont pas mieux que les autres. Toutes ces extravagances tu ne trouves pas que c’est…
  • Tu dors ?
  • Je t’avais prévenu.
  • Ah ces immolés, de vraies têtes brûlées.

Amaryllis Bosson

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Photo : © Pexels

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