Les réverbères : arts vivants

Et si la sottise n’était qu’une forme de sagesse ?

Nassr Eddin Hodja est un personnage mythique de la culture musulmane. Philosophe d’origine turque, il est connu pour les milliers d’histoires dont il est le héros, histoires emplies d’humour et de leçons de vie. Ce sont ces récits que nous conte Miguel Fernandez V. au Théâtricul, jusqu’au 12 novembre.

C’est avec un thé à la menthe et une pâtisserie orientale que l’équipe du spectacle accueille le public dans le foyer du Théâtricul. Quelques minutes plus tard, en entrant dans la salle, la musique résonne déjà. Dans un décor coloré et typiquement oriental, Lorianne Cherpillod, Tara Macris et Sophie Tirabosco chantent et jouent de la musique, pour nous plonger dans l’ambiance. La guitare, les tambourins et autres djembés s’allient ici pour nous faire voyager. Jusqu’à l’arrivée de Miguel Fernandez V., le « blablateur » du soir, comme il aime à s’appeler. Sur le plateau, il nous narrera diverses histoires de Nassr Eddin, de son enfance jusqu’à son dernier souffle, en passant par les différents métiers de son père, l’amour et les disputes avec son épouse Khadidja, ses histoires d’âne ou encore la façon dont il s’est joué de Timour Lang et de Dieu. Le tout entrecoupé de musique jouée live, pour laisser à tout le monde le temps d’apprécier chaque petit conte.

Humour et leçons de vie

Dès son enfance, le petit Nassr Eddin fait preuve d’un esprit particulièrement vif et d’une réflexion qui lui est propre. En témoigne cette jolie phrase qu’il dit à son père, alors qu’ils croisent un arbre dégoulinant de fiente : « Regarde Papa, un arbre à yaourt ! ». Cette anecdote, c’est l’une des nombreuses que raconte Miguel Fernandez V. dans Sottises et Sagesses de Nassr Eddin Hodja. Le titre résume tout : Nassr Eddin oscille toujours entre les sottises et la sagesse. Autrement dit, dans chacune des courtes histoires présentées, il semble faire le clown, se jouer de ses interlocuteur·ice·s, proposer de drôles de blagues. Pour autant, tout cela n’est jamais gratuit et vise toujours à donner une leçon, si anodine soit-elle, à l’autre. Pour ce faire, il n’hésite jamais à jouer avec la langue ou sur les mots, en conservant toujours une longueur d’avance sur tout le monde. On ne sait ainsi jamais trop si sa leçon est absurde ou ingénieuse. Question de point de vue, me direz-vous ? L’âne prenant une grande place dans ses histoires, on aura tendance à dire que celui ou celle qui ne comprend pas la sagesse cachée l’apparente naïveté de Nassr Eddin, se rapproche plus de l’animal que du disciple…

En arabe, langue d’origine de Nassr Eddin, son nom signifie « le salut de la religion ». Il est symbole de protection et de victoire. Voyez ici l’aspect de sagesse de sa parole, qui vise avant tout à aider son prochain, quitte à se jouer de lui… C’est d’ailleurs ce qui lui vaudra le nom de « Hodja », ou maître dans sa langue. Car sa renommée s’étend au-delà des frontières de l’Anatolie, et nombreux sont ceux qui viennent le visiter pour recevoir des conseils de celui dont on pense qu’il sait tout. Voilà pourquoi il est souvent représenté avec un énorme turban blanc sur la tête : c’est le symbole de la connaissance. Mais lorsqu’il se trouve ignorant et qu’on insiste pour lui dire qu’il a le turban et sait donc tout, Nassr Eddin n’hésite pas à le poser sur la tête de celui qui le questionne, pour voir s’il s’en sort mieux avec… Un petit exemple parmi tant d’autres de l’ingéniosité de cet homme. Mais pour la comprendre encore mieux, la meilleure option est encore d’aller écouter Miguel Fernandez V., qui les raconte tellement mieux que moi.

Douceur et musique

Alors que l’on avait été accueilli tout en douceur, pour nos papilles comme pour nos oreilles, tout le spectacle continue sur ce modèle. Les chansons interprétées en live par le trio des musiciennes résonnent comme autant de transitions illustrant l’avancée de Nassr Eddin dans la vie. La soirée s’avère ainsi conçue de manière très fine, en partant de l’enfance du philosophe, pour parler des différents métiers de son père, puis sa relation avec sa femme, celle avec son âne, jusqu’au sommet de sa carrière si l’on puit dire : ses bouffonneries auprès du tyran Timour Lang.    Et qu’importe que rien ne soit attesté historiquement : ce sont les petites leçons qu’il nous donne que nous retenons. À la fin de la pièce, on aurait encore envie que ça dure, jusqu’au petit matin s’il le faut, tant on prend plaisir à écouter Miguel Fernandez V., conteur hors pair, ainsi que Lorianne Cherpillod, Tara Macris et Sophie Tirabosco, dont les voix nous embarquent dans ce monde plein de douceur et de malice…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Sottises et Sagesses de Nassr Eddin Hodja, par l’association Théâtre Mediterraneo, du 3 au 12 novembre 2023 au Théâtricul.

Mise en scène collective

Avec Miguel Fernandez V., Lorianne Cherpillod, Tara Macris et Sophie Tirabosco.

https://theatricul.net/

Photo : © Nevit Dilmen

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *