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La double lecture d’un spectacle – XPM : le temps, par Daniel Borak et Daniel Leveillé au théâtre le douze dix-huit jusqu’au 28 février 2024.
Rares sont les couvertures de spectacle qui débutent par la mise en évidence de la création de la lumière. Dans la présentation du spectacle XPM, celle-ci telle qu’elle est conçue par Jérôme Burdet, vaut la primeur de cet article. Elle complète admirablement le thème du spectacle : Le temps, en se déployant magnifiquement dans l’espace de jeu. Ici, la lumière est un partenaire à part entière des deux danseurs : Daniel Borak et Daniel Leveillé. Jérome Burdet, créateur de lumières, a déployé un grand nombre d’éclairages de qualités : des lumières très fluides, intenses, blanches plutôt cliniques, parfois charnelles ou proches du sentiment du feu ou du jeu de l’eau. Elles construisent ainsi l’espace pour le/la spectateur·ice en soutenant l’imaginaire que propose la danse. C’est brillant et parfaitement réalisé.
Évoquer le temps, c’est rapidement lui adjoindre l’espace tant ces deux notions sont inséparables et s’influencent l’une et l’autre et tellement que le spectacle XPM débute dans le noir complet : un temps avant le Big-Bang ou un temps avant la rencontre de gamètes. Un noir indispensable.
Quoi qu’il en soit, une rencontre sur scène a lieu entre deux éléments imbriqués l’un a l’autre à qui se séparent : l’univers, le temps où la vie vient d’apparaître. S’ensuivent deux êtres qui s’approprient l’espace sans trop le comprendre. C’est ce qui s’impose aux yeux des spectateur·ice·s, la dimension exotérique. Soudain, une chaussure tombe du ciel. C’est à cet instant que le spectacle devient ésotérique. Qui se souvient de 2001, l’Odyssée de l’Espace retrouve dans ce spectacle une à une les étapes du film.
Les deux danseurs sont agiles, élégants, flamboyants et totalement maîtres de leur art. Daniel Borak et Daniel Leveillé entraînent le public dans des séries de claquettes époustouflantes de technique et merveilleuses de sens. Et c’est alors que, porté·e par le thème du spectacle, on cherche les symboles, la clé de lecture, le film de Kubrick s’impose encore une fois.
On se souvient de la scène d’ouverture avec le monolithe, qui apporte à l’aube de l’humanité le savoir, la technique de l’outil aux premiers Hommes. Ici la chaussure apporte le sens du temps, la technique du rythme que l’Homme va découvrir en couplant ces derniers avec les sons produits par son corps. Dès lors, lors du second tableau d’ouverture, tout découle de cet instant premier, allié au son des battements du coeur, genèse du rythme. C’est parfaitement bien trouvé.
Une suite de scènes évoque le temps tel qu’il peut se présenter au jour le jour notamment dans la seule séquence accompagnée par un narrateur. Une mise en évidence du temps ressenti qui balance entre : «Quoi déjà ! Et ouf, enfin !» S’ensuit une jolie séquence sur les horloges, maîtres du temps, suivie par une scène amusante présentant ceux qui essayent de suivre le mouvement des aiguilles entre : Pile à l’heure ! et M… en retard !
Puis, les scènes suivantes portent les interrogations de tout temps à propos de lui-même, jusqu’au moment où le temps et l’espace n’existeront plus.
La lumière focalise l’attention. Les éclairages encore une fois sont dynamiques et varient selon les tableaux. Mouvante au fil de l’action, la lumière glisse sur le sol, elle évolue durant le jeu des danseurs puis elle se délite, s’éteint. La chorégraphie, la lumière et la création n’ont fait qu’un.
Un spectacle puissant, plein d’imagination et de légèreté, avec des traits d’humour bienvenus, qui propose des virevoltes de claquettes plus que séduisantes, admirables. Prenez justement le temps d’aller les voir et vous n’aurez pas perdu le vôtre.
Jacques Sallin
Infos pratiques :
XPM, au théâtre le douze dix-huit, du 24 au 28 janvier 2024
Chorégraphie : Daniel Borak, Daniel Leveillé
Lumière : Jérôme Burdet
https://ledouzedixhuit.ch/spectacle/xpm/
Photos : © Sébastien Bovy