Les réverbères : arts vivants

Explorer le plaisir

Au Théâtre du Loup, on casse les tabous dans Tout plaisir est pour moi, jusqu’au 17 juin. Celine Bolomey, Rachel Gordy, Patricia Mollet-Mercier et Alexandra Tiedemann y parlent sans complexe du plaisir féminin, mais pas uniquement. Une manière de démystifier le sujet ?

Avant le début du spectacle, impossible de voir la scène : un immense rideau argenté obstrue la vue du public. Et pour cause : il fallait garder l’effet de surprise ! À son ouverture, on découvre une scénographie pour le moins originale ! Des petits arbustes ressemblant à de la barbe-à-papa sont alignés et recouvrent tout le sol de la scène, au centre de laquelle trône une vulve modèle géant, dans lequel les quatre comédiennes viendront s’asseoir à certains moments. Les espèces de cotons-tiges qui jonchent le sol représenteraient-ils dès lors les muqueuses à l’intérieur du sexe ? Cela semble cohérent, et on est donc rapidement dans le bain : tout est fait pour immerger le public dans la thématique du spectacle : le plaisir féminin (mais pas seulement…).

Les quatre comédiennes sont d’abord installées dans la forêt rose de la scène, dans des tenues futuristes – on apprendra plus tard que ce sont des représentations du sexe féminin, selon la vision de chacune – et parlent de plaisir dans une langue étrangère surtitrée, probablement du néerlandais ou du flamand. Pourquoi pas en français me direz-vous ? Tout simplement parce les différents sens du mot « langue » ont une prononciation différente dans cette… langue ! Elles jouent ainsi sur le double-sens entre l’organe et le langage. Après cette scène inaugurale, elles commenceront à découvrir le décor, s’extasiant régulièrement devant la beauté de celui-ci – et donc du sexe féminin, trop longtemps considéré comme « moche ». En explorant ce décor, elles entretiendront des discussions qu’elles auraient pu avoir autour d’un verre, autour de la sexualité en général. Tout ce qui se rapporte au plaisir y est abordé : les différents types d’orgasme, les expériences sexuelles aussi multiples que variées, les partenaires, les caractéristiques plus techniques du sexe féminin, les différentes pratiques, les premières fois…

On pourrait craindre – et c’est un commentaire que j’ai entendu uniquement de la part de plusieurs femmes avant le spectacle – que Tout le plaisir est pour moi tombe dans un féminisme extrême, sous la forme d’un pamphlet anti-hommes. Il n’en est rien, et ce spectacle est tout sauf excluant. La thématique centrale est bien sûr le plaisir féminin, trop souvent tabou, mais cela ne s’arrête pas là. En parlant de leurs différentes expériences – réelles ou fictives, on ne sait pas toujours – les quatre comédiennes tiennent compte de leurs partenaires, qu’iels soient hommes, femmes, unique ou nombreux. La notion de partage, du plaisir que l’on peut avoir en en procurant à l’autre, devient dès lors centrale, sans que cela signifie s’oublier soi-même, bien sûr. À travers ce qu’elles racontent, qu’il s’agisse de sexualité « classique » ou de pratiques plus originales, elles abordent ainsi toutes les facettes du plaisir, en rappelant que chacun·e est différent·e et ressent les choses à sa manière. Les zones érogènes ne sont pas toujours les mêmes ; ce qu’une adore ne fera peut-être rien à l’autre. Et l’important, dans tout cela, est que tout est acceptable, normal, qu’on adhère ou non aux pratiques évoquées. Le tout, sans tabou !

Et Tout le plaisir est pour moi ne s’arrête pas là, car il n’y est pas question que de plaisir sexuel. C’est aussi la question de l’individu qui est abordée : comment se réaliser en tant que femme, ou, plus largement, en tant qu’être humain. Il y a dans ce spectacle une remise en question des injonctions sociales qui seraient censées permettre à une femme de se définir en tant que femme : avoir des enfants, rendre un homme heureux… et tant d’autres ! Vous me direz qu’il n’y a rien de très original à questionner et tenter de casser ces injonctions, que c’est un discours qu’on entend souvent depuis un bon moment déjà. Et vous aurez raison ! Mais là où ce spectacle va plus loin, c’est qu’il interroge aussi les conséquences de toute cette remise en question. L’une des comédiennes se demande par exemple si le fait de refuser toutes ces injonctions n’en est pas une, d’une certaine façon ? Elle se demande ainsi si le fait d’être dans cette « norme » et d’en être heureuse, elle qui est mariée, a deux enfants et aime donner du plaisir à son mari n’est pas, justement, un acte de rébellion contre cette injonction à ne pas respecter les injonctions ? Car c’est elle et elle seule qui a décidé de mener cette vie, alors que ses partenaires de jeu ont choisi un parcours tout autre…

Tout le plaisir est pour moi s’avère ainsi être un spectacle qui tend à briser les injonctions et les tabous. La morale qu’on en retient ? Chacun·e fait comme iel veut, et ne doit pas être jugé. On veut agir de façon excentrique et hors de la norme habituellement tolérée ? Très bien ! On veut se conformer à ce qu’on nous a toujours dit, parce qu’on se sent heureux·se ainsi ? Très bien !  Et surtout, on peut parler de ce qui nous fait plaisir et nous en donne librement, quitte à se mettre à nu devant des inconnus, en faisant péter les barrières !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Tout le plaisir est pour moi, du collectif Oh ! Oui, du 2 au 17 juin 2021 au Théâtre du Loup.

Conception : Celine Bolomey, Caroline Cons, Rachel Gordy, Patricia Mollet-Mercier et Alexandra Tiedemann

Mise en scène : Manon Krüttli

Avec Celine Bolomey, Rachel Gordy, Patricia Mollet-Mercier et Alexandra Tiedemann

https://theatreduloup.ch/spectacle/tout-le-plaisir-est-pour-moi/

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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