Le banc : cinéma

Facteur Cheval : le rêve d’une vie

Il y a des histoires qui marquent et qui sont à part. C’est le cas de celle du Facteur Cheval et de son palais idéal. Les 33 ans passés à le bâtir ont inspiré Nils Tavernier, qui réalise en 2018 L’Incroyable Histoire du Facteur Cheval.

Joseph Ferdinand Cheval est un être pas comme les autres. D’une extrême timidité et sachant à peine lire, il peine à se mêler aux autres membres de la société. Ce qu’il aime, lui, c’est marcher pour distribuer le courrier. Cela l’aide, il réfléchit et pense durant les heures passées sur les routes. En 1873, il perd sa femme et son fils est confié à d’autres membres de la famille, Joseph n’étant pas capable de s’en occuper. Cinq ans plus tard, il fait la rencontre de Claire-Philomène Richaud, une veuve avec laquelle il finit par se marier. Ensemble, ils achètent un lopin de terre à Hauterives et auront une fille, Alice, une année plus tard. C’est pour elle qu’il décidera de construire un « Palais idéal », bien que n’ayant aucune notion dans le bâtiment. C’est cette histoire que le magnifique film de Nils Tavernier raconte.

Un choix scénaristique fort

On sait du Facteur Cheval qu’il était un être différent. Au XVIIIe siècle, difficile cependant de poser un diagnostic clair. Au vu des éléments de sa biographie, on constate bien vite qu’il était monomaniaque et obsédé par l’idée de construire son palais. Les avis des médecins penchent un profil du type autiste d’Asperger. Il semble en tout cas en avoir les traits. Nils Tavernier semble partager cette idée et présente Joseph sous cet aspect. Ce n’est donc pas un hasard s’il choisit Jacques Gamblin pour incarner le personnage, qui interprétait un rôle similaire dans De toutes nos forces, déjà dirigé par Nils Tavernier. Comme le Facteur Cheval, il raconte le destin atypique et hors du commun d’un homme. Tavernier écrit ainsi le scénario en fonction de son acteur, pour que le rôle lui colle parfaitement.

De ce choix découle donc la performance magistrale de Jacques Gamblin, qui a d’ailleurs perdu quelques kilos en vue de ce film pour mieux coller au physique du personnage. Il semble d’abord n’avoir aucune émotion, ne versant aucune larme lors de la mort de sa femme, avant de devenir de plus en plus touchant dans sa relation avec sa fille. Si celle-ci commence plutôt mal – il ne sait pas comment s’en occuper lorsqu’elle est bébé –, elle évolue d’une belle manière, jusqu’à conduire à une subtile et émouvante complicité entre les deux êtres. Au-delà d’une biographie et de l’histoire de la construction de ce palais, ce film est aussi une magnifique épopée familiale, qui montre l’évolution d’un homme dans son rôle de père, qu’il tiendra jusqu’à la mort tragique d’Alice.

Des personnalités marquantes

L’incroyable histoire du Facteur Cheval est un film profondément humain. Nils Tavernier parvient à sublimer ses personnages pour en montrer toute la complexité psychologique et l’important rôle qu’ils ont eu à jouer dans cette histoire. Il y a évidemment Joseph, un personnage fascinant. Avec sa simple formation de boulanger – métier qu’il a abandonné à la mort de son premier enfant, à une année à peine –, il parvient à construire un palais mêlant différents styles, simplement grâce à ce qu’il observe et trouve dans la nature, mais surtout grâce à sa réflexion. Preuve en est au moment où un journaliste lui demande comment il a réussi à faire tenir certains éléments. Joseph lui explique alors qu’il a renforcé la structure avec une armature métallique à l’intérieur. Quand la question se pose de savoir comment il a appris ça, Joseph répond simplement : « J’ai réfléchi. » On présente souvent le fait d’être monomaniaque comme une tare. Le Facteur Cheval nous montre ici une autre facette de cette caractéristique : l’abnégation. Avec toute la volonté qu’il a, Joseph parvient à construire ce qui est aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre d’architecture naïve et classé monument historique depuis 1969. On notera d’ailleurs qu’en plus de son palais, il a passé huit ans à construire son tombeau et quelques années encore à bâtir la « Villa Alicius », un monument dédié à sa fille, situé à proximité du palais.

Mais Joseph ne serait rien sans les deux femmes de sa vie : sa seconde épouse Philomène et sa fille Alice. Laetitia Casta signe une brillante performance d’actrice. C’est elle qui permet d’abord à Joseph de s’ouvrir et devenir un peu plus sociable. C’est elle, ensuite, qui lui permettra de créer une relation avec leur fille, en lui faisant confiance pour s’en occuper alors qu’elle se rend à la mairie, chose dont il n’a jamais été capable avec son premier fils – et qui sera heureusement rattrapée au retour de ce dernier à l’âge de vingt ans. Philomène apporte un soutien indéfectible à son mari, car elle est la seule à le comprendre. N’écoutant pas les ragots au village – certains habitants ont peur de Joseph, car il est différent – elle a une confiance inébranlable en l’homme avec qui elle partage sa vie. Il lui arrive pourtant de craquer, de pleurer, de vouloir qu’il s’arrête avant de se tuer à la tâche. Elle surmonte pourtant cette angoisse et donne une force incommensurable à Joseph. Sans elle, il ne serait sans doute jamais arrivé au bout de son palais.

Et que dire d’Alice (Zélie Rixhon), sinon qu’elle est la lumière qui l’inspire ? C’est pour elle qu’il construit ce palais. Après un accident, Joseph est alité pendant plusieurs semaines. C’est à ce moment-là qu’il prend conscience de la gravité de la maladie de sa fille – alors que les parents croyaient d’abord à une grosse toux passagère, due aux rudes conditions de l’hiver. Elle mourra des suites de cette affection pulmonaire à l’âge de 15 ans. C’est là seul moment où Joseph s’autorise enfin à sortir ses émotions, sa tristesse, sa colère, sa rage même. En extériorisant cela, il trouve la force de continuer, sans relâche, et ce dans toutes les conditions météorologiques. Le film de Nils Tavernier et les brillantes performances des deux comédiennes rendent ainsi un magnifique hommage aux deux femmes qui ont partagé la vie de Joseph.

L’incroyable histoire du Facteur Cheval, un film bouleversant, d’une incroyable finesse et porté par un casting royal. À voir et à revoir, sans oublier de verser sa petite larme.

Fabien Imhof

Référence : L’incroyable Histoire du Facteur Cheval, de Nils Tavernier (2018), avec Jacques Gamblin, Laetitia Casta, Zélie Rixhon…

Photos : ©SND

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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