La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 16

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 16 : Les experts

Poste de Police, Genève.

Le 10 décembre, 20h25.

« Aucune idée, je ne suis pas ornithologue. »

Nom de… si Isaac Tabazan ne se retenait pas, il l’étranglerait, ce légiste ! Avec son petit sourire prétentieux, Pierre Dunant est un insupportable rat de labo. Il en menait moins large, ce matin, quand je l’ai remis à l’ordre… et c’est sur cette pensée que se concentre l’inspecteur, plutôt que de mâchonner un crayon pour passer ses nerfs (il n’en reste presque plus dans le tiroir de son bureau). Il allumerait bien une cigarette histoire de se détendre, mais les locaux de la police sont non-fumeurs, comme l’intégralité des bâtiments étatiques – ce qui est bien dommage, à son avis.

« Par contre, si vous voulez mon avis », commence le légiste d’un ton mielleux où surnage une nappe de supériorité, comme du pétrole sur les vagues après une marée noire, « vous devriez poser la question à… »

DRRRIIIIIIIINNNNNNGGGGGGG !

Sauvé par le téléphone. Merci, il existe une divinité quelconque pour les inspecteurs à bout de patience, harcelés par des légistes suffisants ! Impérieux, Tabazan fait signe à Dunant de se taire, avant de décrocher avec un grand geste.

« Tabazan, j’écoute. »

Son regard s’éclaire et il jette un regard triomphant au légiste.

« Oui… oui, il est là. Non … oui … oui, il m’en a parlé. Hm … hm … d’accord, je vous mets sur haut-parleur. »

Et il appuie sur un bouton du téléphone. Aussitôt, la voix de Géraldine Mercet, enjouée et surexcitée comme une souris sous caféine, résonne. Géraldine est ce qu’on pourrait appeler communément une experte – à prendre dans le sens le plus large du terme. Elle cumule tant de spécialités et ses intérêts personnels recouvrent des champs si divers (du parapente à la tectonique des plaques, du point de combustion des hydrocarbures à la mythologie gréco-romaine, de l’origami aux mots-croisés, en passant par la culture plus ou moins légale de cannabis ou la fabrication « maison » du compost) que Tabazan a de la peine à suivre. Tout ce qu’il a besoin de savoir, en fait, c’est que Géraldine, avec ses lunettes carrées et sa coupe blonde au bol, ses kilos en trop (mais qui tombent aux bons endroits) et son grand sourire amical, son goût pour les micro-brasseries et son fort accent vaudois, est une as de la police scientifique.

« Pierre… je t’avais dit de ficher la paix à l’inspecteur et d’attendre les derniers résultats ! »

Tabazan a l’immense satisfaction personnelle de voir le légiste se raidir quasi-immédiatement.

« Enfin, ce n’est pas grave, je pense », poursuit Géraldine, toujours sur haut-parleur et sans se douter de la tension qu’elle fait naître entre ses deux interlocuteurs, dans le petit bureau de Tabazan. « J’ai du nouveau. »

« Et alors ? » demande Tabazan, avide d’en savoir plus.

Géraldine prend une profonde inspiration : « Alors… pour compléter le rapport d’autopsie… tout d’abord, concernant notre composant mystère. Ce n’est pas encore complètement fini, la totalité des résultats tombera dans la journée de demain… mais je peux vous dire que certains éléments que j’ai isolés (l’agent hallucinogène excepté) paraissent très proches de ceux utilisés lors de la momification des corps, dans l’Égypte ancienne. Il faut que j’affine ça, mais c’est un point à ne pas négliger, à mon avis… Ensuite, j’ai examiné les objets présents sur la scène du crime. Le sang, sur les vêtements de notre décapité, appartient intégralement à la victime – de même que les cheveux et autres bouts de peau. Rien à attendre de ce côté-là, donc. »

Tabazan grogne, Géraldine reprend. « Idem pour la hache – vous savez, celle qu’on a retrouvée adossée contre un des canons. Une belle hache, hein… du genre de celles qu’on peut trouver dans n’importe quel magasin de jardinerie ou de bricolage. Bien affûtée, cependant. Là aussi, le sang appartient à notre victime. Aucune empreinte sur le manche. »

« Il devait porter des gants », suppose l’inspecteur, pensif. « Et pour le reste ? »

« Des gants, c’est ce que je pense aussi et ce qui paraît le plus logique », répond Géraldine. « Quant au reste… plusieurs choses. Vous vous souvenez qu’on avait trouvé un papier, posé devant notre décapité ? Avec une carotte en massepain ? »

« Une mise en scène », approuve Tabazan, sans prêter attention à Dunant qui se tortille avec l’air de celui qui a été trop vite en besogne. « Donc ? »

« La carotte est actuellement en cours d’analyse – ça m’étonnerait qu’on puisse identifier sa provenance, mais qui sait ? Certaines chocolateries utilisent des recettes reconnaissables pour se démarquer de leurs concurrents, en rajoutant aux ingrédients de base des éléments qui ajoutent une touche de saveur supplémentaire… des arômes ou des alcools, par exemple. Bref, j’en saurai davantage demain. »

« Et le papier ? »

Géraldine cache mal une exclamation ravie ; l’inspecteur l’imagine presque battre des mains avec l’excitation de celle à qui on annonce que le Père Noël sera en avance : « Ah, ça, c’est le plus intéressant, inspecteur ! Bon, je vais commencer par la mauvaise nouvelle… »

« Pas d’empreinte ? » C’est ce que. Tabazan craignait.

« Pas d’empreinte », confirme Géraldine. « Mais… » Pour le suspense, elle ménage une pause, à laquelle Tabazan, obligeant et gentleman, répond : « Mais quoi ? »

« Il y avait un message, sur le papier. »

« Un message ? Mais… il était vierge… » Le cerveau de l’inspecteur passe soudain la 5e et débouche sur l’autoroute de pistes les plus échevelées.

« C’est aussi ce que je croyais. J’ai essayé différentes choses pour en être sûre… et, franchement, j’aurais dû me souvenir que les meilleures recettes sont les plus connues ! Après tout, c’est dans les vieilles marmites qu’on fait… »

« Bon, ça suffit, Géraldine », l’interrompt le légiste, cassant. « L’inspecteur n’a pas que ça à faire. » Tabazan lui lance un regard mauvais ; Géraldine continue sans se laisser démonter :

« Si tu n’avais pas dérangé l’inspecteur trop tôt, Pierre… enfin bref. Donc. Le papier. Je l’ai passé sous une source de chaleur… c’était de l’encre sympathique ! Du jus de citron – un vieux truc que tous les gamins connaissent. Je m’en servais à l’école, pour fabriquer des cartes au trésor ; d’ailleurs… »

« Et le message ? » Tabazan tremble presque d’impatience. Géraldine a un moment d’hésitation, le temps de reprendre le fil de ses idées enthousiastes :

« Le… ah, oui, le message ! Très énigmatique. Très… de saison, si vous voulez mon avis. Ça disait simplement… “Ainsi périssent les ennemis de la République.” »

Un grand et profond silence suit cette déclaration.

*

Cabinet de Tatiana Romeniakov, rue des Chaudronniers.

Le 11 décembre, vers 9h du matin.

La Vielle-Ville se réveille, les badauds se pressent au bureau. À ceux qui prennent le temps de flâner en promenant leur chien ou en grillant la première cigarette du jour, en sirotant le premier café à l’emporter, les gros titres des journaux adressent des messages alarmistes :

Meurtre en Vieille-Ville : le décapité des canons !

Célébrations de l’Escalade : les autorités suspendent les festivités

Faut-il craindre les marmites en chocolat ? L’enquête de notre rédaction

François Royaume hoche la tête en remontant la petite rue, depuis le Bourg-de-Four. Il regrette déjà sa décision : si seulement il n’avait pas écouté Jean… pas écouté cette vieille pie de Apfel… si seulement il avait été ouvrir sa chocolaterie, comme tous les jours… il aurait pu oublier toute cette histoire, à force de travail.

À l’adresse indiquée, une petite troupe très hétéroclite l’attend déjà. Il leur jette un regard inquiet puis, à leur côté, monte les marches qui conduisent au cabinet de Tatiana Romeniakov, voyante de son état.

Ledit cabinet se révèle presque trop petit, étant d’ordinaire prévu pour un client – deux, grand maximum. S’y entassent à présent François, mais aussi Miss Apfel, sa nièce Heidi, ainsi que leur hôtesse… et un chat au pelage bleu, que Tatiana a présenté sous le nom de Comtesse et qui, pour l’heure, se lèche la patte avant droite d’un air ennuyé et hautain, comme si ce soudain afflux d’humains dans son espace vital était une insulte à la bienséance.

Ils sont assis en cercle et François les regarde à tour de rôle du coin de l’œil, en silence. Il se sent mal, dans cet appartement à l’allure de bonbonnière d’un autre âge, à la décoration trop chargée. Une fumée lourde sature l’air, embaumant d’une odeur indéfinissable d’encens et de pivoine. Qu’est-ce qui lui a pris ? Quelle folie d’accepter de se soumettre à cette mascarade… est-ce à cause du visage affable et bienveillant de Miss Apfel qui, malgré tout, a réveillé en lui des souvenirs de confiance et de réconfort ? Ou bien les injonctions de Jean à suivre une thérapie plus efficace que celle que lui propose depuis des années son psychiatre (tu dois progresser dans l’acceptation du traumatisme, François !) ? Ce qui a indubitablement fait pencher la balance, ce sont les sous-entendus de cet inspecteur de malheur, hier. N’a-t-il pas laissé entendre, très subtilement, que toute entrave à une enquête pour homicide pouvait avoir d’importantes (et fâcheuses) répercussions ? François n’a jamais été un courageux ; aussi, plutôt que se mettre à dos la police, il s’est résigné à faire face à son passé.

Il soupire, piégé. Bon. C’est trop tard pour regretter maintenant. Je ne vais quand même pas sortir de là en courant… Il croise le regard de Heidi, la nièce de Miss Apfel, qui lui adresse un sourire rayonnant. Elle a l’air si confiante que, malgré lui, il sourit en retour. Haut les cœurs. Plus vite commencé, plus vite fini.

« Vous êtes prêts ?», demande l’hypnotiseuse, dans un froufrou de perles.

« Oui », répondent en cœur les trois convives.

Et la séance commence.

Magali Bossi

(avec Arnaud Chiaradia, pour la dernière partie)

La suite arrive vendredi prochain, à 17h !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Tu n’as pas froid aux yeux et tu veux nous rejoindre ? N’hésite pas à nous envoyer un petit mot et toutes les informations pour ta prochaine enquête littéraire suivront…

Photo : © PublicDomainPictures

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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