Les réverbères : arts vivants

Faiblesse et impuissance

Quand le destin laisse un goût amère – Maria Antonietta – L’ultima Regina di Francia, par la compagnie de langue italienne Pont d’Art Italia. C’est à voir jusqu’’au 25 novembre au Théâtre Pitoëff.

Il est des destins qui, à chaque fois qu’ils sont racontés, laissent à la fin du récit une impression étrange entre la peine et le chagrin, rarement l’indifférence. C’est le cas de Cyrano après son dernier panache, c’est le cas de Marie-Antoinette après sa dernière lettre. À chaque nouveau récit, on souhaiterait que les personnages de fiction ou historiques s’en sortent enfin ; mais c’est toujours la réalité de la plume ou de l’Histoire qui rattrape l’imaginaire.

Marie-Antoinette a descendu les marches du château de Schönbrunn pour monter ceux de Versailles. Elle a descendu les marches du Temple pour monter celles de la guillotine. Entre les deux, une vie qui balance entre frivolité et courage.

Le texte de Francesca Bruni présente le personnage central le plus souvent dans son intimité. Cela tient plus de la vision filmique impressionniste de Sofia Coppola que de la psychologie feutrée issue de la biographie de Stefan Zweig. Le canevas est écrit dans les grandes lignes sur celui tissé par les historiens, avec quelques vues personnelles, tel l’amour entre Marie-Antoinette et Axel de Fersen qu’elle propose comme consommé.

La mise en scène signée par l’autrice fait le choix intelligent de l’espace. La large scène du Théâtre Pitoëff nous plonge tant dans les appartements de Marie-Thérèse impératrice d’Autriche, présentée ici plus en femme autoritaire qu’en femme forte, jusque dans la galerie des glaces, symbole architectural de Versailles. La salle du Théâtre n’échappe pas au récit, lieu des démonstrations de colère du peuple comme celle en dentelles des fêtes masquées qui soulagent de l’ennui la noblesse. Le public est ainsi enrobé par le récit, telle l’Histoire qui enveloppe le monde.

Le récit se fait par tableaux, à l’image de ceux de Guitry dans Si Versailles m’était conté. Ceux de groupe sont parfaitement réussis et offrent de belles émotions. Des compositions scéniques que la metteuse en scène maîtrise très bien. Quelques éléments de décors fixent les scènes de Cour comme d’estaminet : il n’en faut pas plus pour que l’imaginaire du public fonctionne.

A Versailles, on joue, on bâille, on s’ennuie, (…) on se hait, on s’envie, on se caresse, on se déchire. C’est dans ce portrait du lieu décrit par Saint-Simon, portraitiste acerbe de la Cour, qu’évolue Marie-Antoinette interprétée avec générosité d’un bout à l’autre par Francesca Bruni.

Ainsi passe l’entier de la vie de Marie Antoinette qui bâillait d’ennui lors de son voyage à destination de son mariage et qui, reprenant le même chemin vingt ans plus tard, de retour de Varennes écrivait : « Mon Dieu, ayez pitié, mes yeux n’ont plus de larmes. » Le grand nombre de comédiens et comédiennes interprètent avec rigueur leur texte et avec bonheur leurs rôles. Pas une seule fausse note : remarquable sur scène, agréable pour le public, qui dès lors ne décroche pas de l’histoire. Des rôles, il y en a tant dans ce destin, dans cette Cour, dans le peuple, dans la Révolution. Et chacun·e d’endosser plusieurs costumes avec une fluidité notable.

La vie de la dernière reine de France possède donc ses personnages historiques dont certains souffrent hélas d’une interprétation confortable, donc erronée. C’est le cas de la Du Barry, dernier amour de Louis XV, une femme beaucoup plus généreuse et attentive que vulgaire, de Louis XVI jeune, plus timide que benêt qui, devenu roi, subissait d’autant plus la douleur dans ses relations intimes qu’il était mauvais amant. Dans ce spectacle, l’écueil à leur propos n’a pas été évité et parfois le décalage est grand. Ainsi, les filles du roi Louis XV, grises chaisières accomplies et perroquets de Cour, étaient bien plus enclines à ouvrir un missel qu’un bal.

Quoi qu’il en soit, cette troupe de langue italienne, bouillonnante sur scène, propose plus de deux heures d’Histoire, un peu comme dans un livre aux pages chantournées avec çà et là, des moments de Commedia dell’arte qui font, grâce à l’humour qu’elle provoquent, perdre un peu de sérieux à ce destin qui l’est tant.

Un très beau tableau en guise d’épilogue que n’aurait pas renié le peintre Delacroix s’impose avant des saluts aussi bien réglés qu’un ballet. Preuve finale de l’excellente et généreuse performance de cette compagnie dont les spectacles sont à suivre.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Maria Antonietta – L’ultima Regina di Francia, de Francesca Bruni au Théâtre Pitoëff, du 21 au 25 novembre 2023

Mise en scène : Francesca Bruni

 

Avec  Francesca Bruni, Stefano De Santis, Cristiano D’Alterio, Giuseppe Rispoli, Giorgia Paolini, Flavia Cattivelli, Chiara Pasella, Roberto Pesaresi, Marco Sabbatini, Virgil Girardin, Giosué Libois, Rose Marie Gatta, Liza Paul, Angelamaria De Nigris, Desiré Saoncella, Chiara Chesi

Photos : ©  Lisa Mol

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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