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Un livre, des critiques… J’ai mille ans… (Jean-Marie Quéméner)

Aujourd’hui, nous vous proposons plusieurs critiques consacrées au même ouvrage : J’ai mille ans…, un roman de Jean-Marie Quéméner.

Ces critiques ont été produites dans le cadre de l’Atelier d’écriture du Département de langue et littérature françaises modernes de l’UNIGE (Université de Genève). Signées par Tina Haziri et Amelia Ligabue, elles sont l’occasion d’avoir des regards croisés sur le même ouvrage. Bonne lecture !

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À la poursuite de la liberté

Roman. Obligée de travailler dans un bordel, une jeune Soudanaise dissimule sa grossesse… jusqu’à son accouchement dans ce même lieu. Le métissage d’Amal, la nouvelle-née, transforme l’incident en chance pour le propriétaire de cette maison close nommée « La Maison rose » : « compte tenu du métissage du résultat et donc des promesses de nouveau marché, il passera peut-être l’éponge cette fois-ci. » (p. 41). Naissance survenue dans un pays où les recoins du ciel ne forment que le toit d’une prison, percé par l’appel de la liberté des terres d’Europe – un appel auquel répondent mère et fille…

Des routes du désert jusqu’à la mer, leur évasion est narrée à la première personne par Amal, tout juste née, mais déjà âgée de mille ans. Cette perspective unique, pénétrée d’innocence et de lucidité, confère au récit une dimension vertigineuse. Elle l’enveloppe d’une atmosphère à la fois légère et funeste, exprimée au moyen de phrases simples, jamais encombrées de pathos, toujours mêlées habilement d’humour et de poésie. Ainsi immergé dans la violence d’un environnement creusé par la guerre civile, le lecteur y fait la rencontre de personnages attachants, empreints de douceur et profondeur.

Des premières aux dernières pages, le regard conscient de la nouvelle-née ainsi que la volonté inextinguible de sa mère de lui offrir un avenir suscitent la compassion, tout en entraînant nos regards par-delà nos routiniers quotidiens : « J’ai mille ans. Je sais : les hommes t’envoient mourir sur une épave et te sauvent sur un voilier. » (p. 214) Jean-Marie Quéméner défait ici l’écart qui sépare nos destinées de celles contraintes à l’exil, pour nous rapprocher, à travers son roman, de leurs voix, leurs visages, leur humanité.

Tina Haziri

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Sur la route de l’exil

La petite Amal naît dans une maison close, quelque part au Soudan. Sa mère connaît la misère, la violence des clients, et décide de placer son espoir dans l’exil vers l’Europe. Commence alors une longue odyssée, ponctuée de rencontres et de dangers. Du désert jusqu’à la Méditerranée, Amal nous emmène sur le chemin de croix des plus miséreux, mais aussi dans une quête de liberté où l’espoir ne tarit jamais. Une sagesse millénaire se mélange à sa candeur de nouvelle-née : car si elle est jeune, le chemin de l’exil n’a jamais cessé de vivre en elle. Amal et sa petite troupe se faufilent à travers des routes poussiéreuses, comme tant d’autres avant elles. Une épopée géographique, qui nous porte des déserts de Libye jusqu’à la Sicile, et démontre ainsi la violence des frontières.

La dimension politique du roman de Jean-Marie Quéméner, qui a lui-même vécu plusieurs années au Soudan, est indéniable : ce sont ces migrants, dont les arrivées ponctuent l’actualité européenne, que l’auteur souhaite faire sortir de l’anonymat. Quéméner dresse des portraits individuels qui montrent les difficultés et les dangers de l’exil, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. C’est dans un style sans fioritures qu’il décrit les actions de ces divers personnages, sans pour autant abandonner la vision et la voix d’Amal, emplie d’humanité et de sagesse. S’il en ressort une narration confuse par moments en raison du changement fréquent de point de vue, la puissance narrative prend le dessus, et nous sommes emportés dans ce grand périple, si tristement réaliste.

Amelia Ligabue

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Référence :

Jean-Marie Quéméner, J’ai mille ans…, Paris, éditions Récamier, 2023, 224p.

Photo : © Amelia Ligabue

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