Les réverbères : arts vivants

Au bout du couloir, la Vie et la Mort ?

Au Théâtre Saint-Gervais, on interroge le rapport intime et universel à la vie et à la mort, aux moments de latence, qui créent des liens ou nous isolent. Ou comment définir le silence. Au bout du couloir, la mer, à voir jusqu’au 26 novembre.

La pièce se déroule en trois actes : le premier sur la place Simon-Goulart, les deux autres au sixième étage du Théâtre. Le propos part de l’histoire d’un condamné à mort, au Texas. Une émission de radio lui est consacrée, durant laquelle on peut lui adresser un dernier témoignage. Tout résonne alors comme un monologue, où il est question de vie et de mort. S’agit-il de plusieurs témoignages, d’un seul, très long ? Peu importe. Quoiqu’il en soit, il est porté par la voix de Mélina Martin, accompagnée par les gestes et la chorégraphie de Marthe Krummenacher et la musique créée par Viva Sanchez. Ce monologue à trois voix, pourrait-on dire, raconte ce moment d’attente, ce silence qui précède la fin, à la fois très personnel et intime et que l’on partage toutes et tous, d’une certaine manière, un jour ou l’autre.

La chute d’un homme ou le cycle infini de la vie

Le début du spectacle, sur la place Simon-Goulart, à côté du temple de Saint-Gervais. Il résonne comme une ode à la vie : Marthe Krummenacher y attend le public, souriante, occupant tout l’espace en virevoltant. Elle danse, le sourire toujours aux lèvres, s’amuse avec le public, accompagnée par une musique rythmée faite d’harmonica et de grelots. On y perçoit l’insouciance de la jeunesse, ce premier temps de la vie où tout est léger. Jusqu’à l’arrivée d’une entité faite toute en peaux de bêtes, et dont la tête ressemble à un énorme projecteur. S’approchant, lentement mais sûrement, de la danseuse – dont on comprend vite qu’elle incarne le futur condamné à mort – il semble la guider, tel un phare maléfique, vers son inéluctable fin.

Lorsqu’on entre en salle, on retrouve Marthe Krummenacher, assise sur un ampli. La joie de vivre qui animait son personnage semble avoir totalement disparu : son regard est vide, elle ne danse plus, mais marche, dans des mouvements particulièrement lents, sur une musique grinçante, angoissante. Nous voici dans l’univers carcéral de la prison. Quelque chose s’est passé, et rien ne sera plus comme avant. Alors, l’émission de radio commence, et les témoignages s’enchaînent, parlant du rapport à la mort et à ce couloir qui doit guider l’homme vers elle. Subtilement, c’est un positionnement contre la peine de mort qui nous est d’abord conté, illustrant toute la déshumanisation qu’elle entraîne. On pense alors au Dernier jour d’un condamné d’Hugo, ou, plus récemment, à des films comme Just Mercy, en se rappelant que la condamnation, qu’on la soutienne ou non, n’est pas toujours prononcée à l’égard de la bonne personne…

On bascule alors enfin vers l’universel : le dernier monologue devient presque biblique, racontant à la fois la création du monde et le chaos qu’elle crée en même temps, dans une forme de cycle sans fin où la vie engendre la mort et la mort engendre la vie. Toutes deux sont, on ne vous apprend rien, étroitement liées. Ce dernier moment s’accompagne de piano, qui monte progressivement du grave à l’aigu, avant de lier les deux, comme différentes façons d’appréhender cette latence, cette attente, et ce rapport entre la mort et la vie. À côté de Mélina Martin, Marthe Krummenacher défait le nœud d’une corde à sauter, comme les nœuds de la vie du condamné, prêt à accepter son sort, ou résigné qu’il est…

Quelque chose de cyclique

Ce qui nous est raconté à travers cette histoire, c’est un cycle, parfaitement illustré par le monologue final, répété trois fois, avec plus ou moins de détails, plus ou moins rapidement. Cela nous montre que, pour chacun et chacune, le rapport est différent. Les mots portés par Mélina Martin ne sont pas toujours explicites, comme dans un sens métaphorique que chacun·e interprétera à sa manière.

Le mélange de tout – texte, danse, musique – crée quelque chose qui en dit long et touche, de manière différente, chaque membre du public. Karelle Ménine a su trouver dans sa mise en scène le juste équilibre entre dire, montrer et laisser la place nécessaire à l’interprétation, à l’appropriation. Sans donner les clés de cette histoire directement, on dira que c’est un trousseau qu’elle nous propose, à nous de choisir la clé et la porte qui nous conviendront le mieux, quitte à la laisser fermée ou, au contraire, à en ouvrir plusieurs…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Au bout du couloir, la mer, de Karelle Ménine, du 21 au 26 novembre 2023 à la Maison Saint-Gervais, dans le cadre du Festival Les Créatives et de la Semaine des droits humains.

Mise en scène : Karelle Ménine

Avec Marthe Krummenacher, Mélina Martin et Viva Sanchez

https://saintgervais.ch/spectacle/au-bout-du-couloir-la-mer

Photos : © Irina Popa (photos 1 et 2) et ©sroisin (photo 3)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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