Ouch ! : un concert marionnettique au TMG

S’amuser du petit monde de la musique – qu’elle soit classique, jazz, rock, folk ou de variété… tout en construisant un univers entre poésie et absurde ? C’est le pari tenu par la FanfareduLoup, sur les planches du TMG. Dans Ouch !, iels  proposent une plongée hilarante dans un concert où marionnettes et instrumentistes doivent apprendre à cohabiter.

Imaginez une scène. Jusque-là, rien de très original : après tout, nous sommes au théâtre. Seulement, cette scène-là est divisée en trois espaces rectangulaires – trois cadres géants et dorés, qui délimitent l’espace du plateau à la manière d’un triptyque. On pense aux cases d’un album-photo ou à celles d’une bande-dessinée… ou, plus prosaïquement, à trois scènes d’un cabaret qui n’attendent que d’ouvrir leurs rideaux noirs pour que le spectacle démarre.

Les rideaux, justement – parlons-en. Frontières pour les yeux, ils ne le sont pas pour les oreilles et leur mince barrière laisse filtrer des sonorités prometteuses. Soudain, ils s’écartent. Que le concert commence !

Fosse d’orchestre ou scène de cabaret

Sur scène, neuf instrumentistes se partagent la vedette : Marie Mercier, Christophe Berthet, Ian Gordon-Lennox, Ludovic Lagana, Nicolas Lambert, Aina Rakotobe, Laurent Sourisse, Massimo Pinca et Bernard Trontin. Du sax soprano à la clarinette basse ou contrebasse, en passant par la trompette, le sousaphone, la guitare, le sax alto, les claviers, le tuba, la contrebasse, la batterie ou la clarinette – sans oublier le chant, porté par Vanessa Horowitz : avec Ouch !, spectacle créé en avril 2023 à l’Alhambra, la FanfareduLoup nous embarque dans son univers.

Pas de narration ni de dialogues, c’est la musique qui donne le fil rouge de la pièce. De curieux·ses Messieurs-Mesdames Loyal·es portant un chapeau haut-de-forme démesuré (qui leur cache l’intégralité du visage) orchestrent le spectacle. Les numéros musicaux s’enchaînent, tantôt à l’avant-scène, tantôt dans un des trois rectangles dorés qui délimitent l’espace. On se croirait dans un cabaret qui alterne tours de chant, standards de jazz ou pièces du répertoire classique. Car c’est à un véritable mélange des genres que nous convie la FanfareduLoup : du très sérieux Lully (revisité façon latino – savoureux !) à la chanson début-de-siècle, du Boléro de Ravel (transposé en mineur) à des doina improvisées façon klezmer[1] ou orchestre balkanique, en passant par des compositions originales aux accents jazzy… on claque des doigts en rythme, on applaudit sur les contretemps. Le public est conquis !

Le spectacle est d’autant plus savoureux que Ouch ! s’amuse à caricaturer avec malice les petits travers des orchestres et des instrumentistes : le batteur fou qui balance ses baguettes par-dessus son épaule tout en jouant (on n’est pas loin d’Animal, le batteur du Muppet Show – quoique dans un style plus calme) ; celui qui occupe tout l’espace avec une impro interminable ; la cantatrice qui ne se prend pas pour la queue d’une poire… Ouch ! plonge dans la fosse de l’orchestre pour en tirer les situations les plus amusantes, illustrées en musique.

Qui tire les ficelles, qui tient la baguette ?

N’allez pas croire, cependant, que Ouch ! est simplement un concert. Ce ne serait pas rendre justice à l’audace de la FanfareduLoup. En réalité, il y a dans cet orchestre deux types de musicien·ne·s : des êtres humains… et des marionnettes. Le plus délicat, évidemment, c’est que tout ce petit monde doit collaborer pour le bien du spectacle. On se demande, alors, qui tire réellement les ficelles… ou qui tient la baguette.

Créées par Cécile Chevalier, les marionnettes de Ouch ! prennent l’aspect grotesque, amusant et un peu étrange d’une caricature : têtes gigantesques (à l’image de celle de la cantatrice), chapeaux démesurés, mains disproportionnées… Elles font rire, ce qui les rend d’autant plus touchantes. Challenge supplémentaire pour la FanfareduLoup : les techniques marionnettiques se combinent. On trouve des marionnettes, aussi grandes que de vraies personnes et portées par les instrumentistes (ce qui réduit les possibilités de mouvement et la visibilité sur l’instrument, par exemple pour la batterie). Il y a aussi des masques, qui cachent la vue (coup de cœur pour celui du rat-souris géant, qui improvise au sax soprano !)… sans oublier des marionnettes à taille humaine, actionnées par des poulies. Il faut donc se coordonner tout en jouant d’un instrument (sans partition !), ce qui n’est pas une mince affaire. Enfin, le concert ne serait pas complet sans un chœur de marionnettes « chaussettes », qui entonne à plusieurs voix un air entraînant. Babibouchette, vous avez dit ?

Au final, Ouch ! apparaît comme un concentré de bonne humeur musicale, déployé dans un univers entre la BD et le vieil album-photo, la caricature et le cabaret. Un sacré challenge, que la FanfareduLoup relève haut la main. Bravo !

Magali Bossi

Infos pratiques :

Ouch !, un spectacle de la FanfareduLoup, du 17 au 25 novembre 2023 au TMG.

Direction artistique : Marie Mercier

Avec Marie Mercier (Clarinette, Clarinette basse), Christophe Berthet (Saxophone soprano, Clarinette contrebasse, Clarinette basse), Ian Gordon-Lennox (Trompette, Tuba), Ludovic Lagana (Trompette, Sousaphone), Nicolas Lambert (Guitare), Aina Rakotobe (Saxophone alto, voix), Laurent Sourisse (Claviers), Massimo Pinca (Contrebasse), Bernard Trontin (Batterie), Vanessa Horowitz (Chant)

https://www.marionnettes.ch/spectacle/ouch

Photos : © TMG / FanfareduLoup

[1] Comprenez par-là : des improvisations lentes et mélancolies (doina), dans le style de la musique juive d’Europe centrale et de l’est (klezmer).