Les réverbères : arts vivants

Faire éclore et laisser émerger

L’émotion était au rendez-vous pour la toute dernière représentation de Lion ascendant canard au Casino Théâtre de Rolle, samedi 27 janvier. Et pour cause, elle marquait la fin d’une tournée de deux ans pour un spectacle tout simplement hors du commun.

Lion ascendant canard n’est pas un spectacle sur l’autisme. Non. C’est un spectacle AVEC l’autisme. Et voilà qui fait toute la différence. Car Emilienne, accompagnée de sa maman Laure Donzé nous invite à vivre ce qu’elle vit au quotidien, d’une certaine manière… Tout commence donc le 28 juillet 2008, à la naissance d’Emilienne. Alors qu’elle se développe lentement, est plus petite que la moyenne, n’en fait qu’à sa tête et connaît des difficultés motrices tout en montrant d’incroyables capacités dans d’autres domaines, les diagnostics aux noms alambiqués s’enchaînent. Jusqu’à ce qu’on trouve ce qu’elle a véritablement : Emilienne est atteinte de TSA, autrement dit d’un « Trouble du spectre autistique ». Sans être meilleure, ni moins bonne que les autres, Emilienne est une enfant différente, tout simplement. Et alors que sa mère évolue dans le milieu du spectacle, elle choisit d’en monter un avec elle, et tous les aléas que cela comporte.

Une grande famille

Lion ascendant canard, c’est un spectacle qui se joue en famille, ou presque. Emilienne est donc entourée de sa maman, qui signe le texte et la mise en scène, de son père, de sa tante… Tou·te·s les membres de l’équipe partagent un lien fort avec elle. Même pour la musique, jouée en live, c’est Simon Seiler, qui a été son enseignant spécialisé, qui la signe. Voici donc une pièce construite comme un cocon, où la bienveillance règne. Plus que cela, c’est de l’amour qu’on ressent et qui nous est transmis, sans pouvoir mettre de mots plus précis là-dessus. Le câlin final, entre Emilienne et sa maman, en dit d’ailleurs long sur ce qu’elles partagent.

Sur la scène, le décor consiste en un plan incliné, tout noir, bientôt blanchi des mots-clés de la vie de la vie d’Emilienne : sa date de naissance, « diagnostic », « autisme », « colère », et les questions que cela entraîne, « et toi, tu es où ? ». Au centre, un carré, duquel sort Emilienne au début du spectacle et dans lequel Laure Donzé s’assied pour s’adresser à elle et au public. Devant, à gauche, un petit espace est dédié à Simon Seiler et à ses instruments. Enfin, tout en haut, à droite, un espace ressemblant à une chambre, avec des piles et des piles de livres, des Playmobil et des coussins : le refuge d’Emilienne.

Jouer avec l’autisme

La particularité de Lion ascendant canard ? Il existe certes une trame, un texte qui structure l’ensemble du spectacle, mais il dépend beaucoup d’Emilienne, selon ses envies : pour la dernière, elle a ainsi refusé de jouer la première scène et décidé que celle du sandwich devrait survenir très tôt. Qu’importe ! On s’adapte et on fait comme elle a envie, ce qui donne à Lion ascendant canard une spontanéité qu’on ne voit jamais au théâtre habituellement. C’est aussi comme ça que le spectacle s’est construit, autour d’Emilienne. Sa maman y raconte ses peurs, comme dans une lettre qu’elle adresserait à sa fille, avec tous les événements marquants de sa vie, même ceux à venir : sa naissance, ses premiers pas, ses premiers mots, ses premières lectures, l’entrée à l’école, jusqu’à son mariage et le moment où elle aussi aura des enfants… Au milieu de tout cela, on retrouve tout ce qu’aime Emilienne : ABBA, la mythologie – avec une jolie scène autour de Perséphone – des pâtes au pesto, Titanic et des Playmobil.

Le tout est entrecoupé de moments poétiques et des chansons de Simon Seiler. Ces passages apportent à la narration des aspects plus métaphoriques, mais aussi une touche d’humour bienvenue. Sans oublier de l’émotion, en nous rappelant que l’important c’est d’être ensemble à l’arrivée. On évoquera encore ces loops des phrases d’Emilienne, créant un refrain lancinant, comme pour illustrer ces choses qu’elle répète sans cesse, elle à qui rien n’échappe, pas même une réplique mal prononcée par sa maman. Et le tout se clôt en beauté, avec une reprise acoustique de Dancing Queen, et la chorégraphie qui va avec !

Lion ascendant canard, c’est donc tout sauf une conférence, et c’est ce qui fait sa beauté. Si quelques éléments « théoriques » sont avancés, le spectacle donne surtout à montrer à voir ce que l’on définit comme un trouble. Pourtant, il n’est jamais montré ainsi, mais plutôt comme une différence, une façon de vivre différente, avec ses avantages et ses inconvénients.

Au final, c’est cette originalité et cette authenticité que l’on retient et que l’on apprécie particulièrement. Surtout, c’est l’amour qui se dégage qui nous marque. Mais je préfère m’arrêter là, parce que les larmes me reviennent rien qu’en y repensant. Magique, tout simplement.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Lion ascendant canard, de Laure Donzé, Camille Rebetez et Simon Seiler, le 27 janvier 2024 au Casino Théâtre de Rolle.

Mise en scène : Laure Donzé

Avec Emilienne Rebetez, Laure Donzé et Simon Seiler

https://www.theatre-rolle.ch/programme/lion-ascendant-canard/

Photos : © Extrapol

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Une réflexion sur “Faire éclore et laisser émerger

  • Très touchant. J’ai moi-même côtoyé des enfants autistes et suis entrée en relation avec eux et les ai photographié.
    Bravo pour cet article qui parle si bien de la pièce.

    Répondre

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