Les réverbères : arts vivants

Faire surgir les mots pour panser les maux

Avec Bolts of Melody, la Cie La Meute porte à la scène les poèmes d’Emily Dickinson pour tenter de mettre des mots sur la douleur. Un spectacle poétique et sensible, pour toucher chacun et chacune et apporter un peu d’espoir face à la perte.

Une femme (Diane Albasini) semble errer. Arrivée devant un étrange espace, elle enlève ses bottes et son chapeau et entre dans ce lieu aux airs mystérieux, avec sa couleur violette et son sol fait de bandages. Elle y fera la rencontre d’un homme (Léo Mohr), là depuis bien longtemps. Que font-ils là ? Iels ont en commun une douleur à l’intérieur, une perte et une peine qu’iels ont du mal à surmonter. Entrez en leur compagnie dans la Maison du Possible…

Faire surgir les mots

Bolts of Melody est un spectacle poétique, à tous les niveaux. D’abord, bien sûr, parce qu’il se base sur les poèmes d’Emily Dickinson. Le texte s’appuie ainsi sur ses mots, alternant subtilement l’anglais et le français. Parfois Tantôt traduits, tantôt en langue originale, les vers de la poétesse résonnent et nous parviennent. Et si un ou l’autre mot nous échappe, tant pis, l’essentiel est ailleurs. Car la poésie, ce n’est pas que le sens des mots… C’est aussi leur sonorité, leur musicalité. La façon dont ils entrent dans notre oreille peut ainsi toucher celui-ci, alors qu’elle laissera indifférente celle-là. À chacun et chacune, dès lors, de prendre ce qu’il y a à prendre et de laisser le reste.

C’est d’ailleurs ce qui se passe sur la scène, qui laisse une grande place à l’imaginaire. On se trouve beaucoup dans la suggestion, comme si toutes les clés ne nous étaient pas données. Et c’est tant mieux. Car c’est à nous de faire le travail d’interprétation. La place des émotions est ici prépondérante. Chacun·e est présent·e avec son vécu, son ressenti, sa propre histoire, et tisse des liens entre le spectacle et tout cela. Les deux protagonistes ne disent jamais explicitement ce qu’iels font là et qui les fait souffrir. Iels parlent même étonnamment assez peu de la douleur, ou alors à travers des métaphores. On évoquera ici les vêtements de l’homme, qui, petit à petit, semblent ressembler de plus en plus au décor, comme s’il en faisait partie. Une manière de montrer que sa douleur est insurmontable ? Ou bien, au contraire, qu’elle s’apaise et que lui-même commence à envisager tous les possibles qu’offre l’avenir ? Quant à la femme, c’est à travers une boîte d’allumettes que s’imagine son évolution. D’abord vide, elle finira par se remplir quelque peu, au fil des moments de joie passés, si courts soient-ils, des sourires, des rires… Comme si son capital bonheur, revenu à zéro suite à la perte, recommençait à se remplir.

Remplacer les maux par les mots

Il est souvent difficile de mettre des mots sur nos ressentis, surtout lorsqu’ils sont reliés à la douleur. On le vit toutes et tous au quotidien. Alors, dans cette Maison du Possible, plutôt que de devoir les chercher, ce sont eux qui surgissent et viennent aux deux personnages. Au fond de la scène apparaît rapidement un panneau sur lequel est écrit « We are always in danger of magic ». Un vers qui résume parfaitement l’ambiance de Bolts of Melody. Ainsi, c’est de manière magique, inexpliquée, que les mots arrivent, surgissant littéralement de l’intérieur des protagonistes, comme un besoin irrépressible. Parfois en musique, d’autres fois sous forme de dialogues, ou encore accompagnés de geste, comme ce joli moment où on retrouve l’image des ricochets sur l’eau… Par moments, les mots se perdent, s’envolent sans avoir atteint leur but. Mais bien souvent, une parole, un vers touche les deux personnages. Alors, c’est à l’une des fameuses Bolts of Melody (éclairs de mélodie, pourrait-on traduite), que nous assistons. Un instant de bonheur, fugace ou qui commence à s’inscrire dans le temps ; un sourire ; une chanson ; un moment de complicité… Elles peuvent prendre bien des formes, mais marquent à chaque fois les personnages qui, petit à petit, semblent se diriger vers le chemin de la guérison.

Alors, après les applaudissements nourris et chaleureux qui s’imposent, on repart empli d’espoir, en conservant bien au chaud dans nos cœurs les mots qui nous ont touchés. On les garde pour plus tard, quand le besoin s’en fera ressentir. Tout contribue à ce moment de magie : du texte à la performance de Diane Albasini à Léo Mohr, en passant par la splendide scénographie, les lumières qui nous transportent dans un autre monde, la musique aussi, qui nous porte… Et on repart avec l’impression d’avoir pris notre dose de poésie et de bonheur.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Bolts of Melody, d’après les poèmes d’Emily Dickinson, du 5 au 8 octobre 2022 à l’Étincelle – Maison de Quartier de la Jonction.

Mise en scène : Lou Ciszewski

Avec Diane Albasini et Léo Mohr

Photos : © Amadeus Kapp

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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