Les réverbères : arts vivants

Repenser l’enfer après l’Apocalypse

On avait laissé Louis Bonard et son Apocalypse sur un monde de désolation à la fin de l’épisode 2. Voici qu’arrive Le Règne, celui de Satan, sur la Terre. Bienvenue en enfer, pour un épisode tout à fait surprenant, à découvrir à l’Arsenic à Lausanne !

Après l’esthétique sombre de l’épisode 2, où presque aucune parole n’était prononcée, alors que Louis Bonard errait sur son cheval décharné pour récupérer les cadavres de L’Apocalypse… nous voici en enfer ! Le mal a désormais envahi la Terre, Satan exerce son règne de Terreur et l’on s’attend à voir de la violence, des mutilations, des guerres et autres conflits… Mais rappelons-nous une chose : l’épisode 2 s’était terminé sur une note d’espoir, alors que la trompette du 1er épisode résonnait comme un écho. Autant le dire d’emblée : j’ai ri aux larmes pendant presque tout le spectacle !

Un épisode surprenant

Alors qu’on arrive à l’Arsenic, on ne sait trop à quoi s’attendre. Quelle forme prendra ce troisième épisode ? Dans le couloir qui mène à la salle, Louis Bonard joue du piano, pour nous accueillir en musique. Dans la salle, le décor est soyeux : des draps de satin aux tons rouges recouvrent la scène, sur différents éléments en relief qui nous rappellent les précédents épisodes. Et là, la surprise débute. Tout commence comme une émission culturelle tardive sur des chaînes obscures : Louis Bonard, grimé en présentateur, avec sa perruque blonde et ses fausses dents, sous les rires hilares du public. Noir, et début façon show à l’américaine : le revoilà avec une veste rose pétant, plein d’énergie, courant autour du plateau, frappant dans les mains des spectateur·trice·s du premier rang sur une musique ultra rythmée. Le spectacle évoluera ainsi au gré de ses blagues, avec des jeux mots qu’on ne saisit pas toujours immédiatement, et de ses réinterprétations de morceaux connus – dans le désordre, My way, Scatman ou encore une ébauche du My heart will go on emblématique de Titanic. L’humour est bel et bien présent ici, bien plus qu’on ne pourrait l’attendre. Les propos paraissent pourtant parfois décousus, sans véritable lien les uns avec les autres, comme s’ils nous parvenaient depuis le fil de la pensée de Louis Bonard, ou plutôt du Satan qu’il incarne, sans filtre ni construction. Mais, précise-t-il, c’est bel et bien voulu. La question qui demeure est : pourquoi ?

Repenser l’enfer

Par bribes, il apporte quelques touches réflexives, plus ou moins explicites, pour nous amener à un questionnement bien plus profond : qu’est-ce que l’enfer ? Sartre disait que c’était les autres, quand d’autres rappellent qu’il est pavé de bonnes intentions… Sans vraiment le dire, il nous semble que Louis Bonard s’inspire de ces phrases devenues aphorismes à force d’être employées pour jalonner sa réflexion. Ainsi, alors qu’on nous avait promis l’enfer, n’est-on pas plutôt à l’opposé le plus total de l’image qu’on s’en faisait ? Qui s’imagine rire aux larmes en ce lieu ? Et c’est là que la réflexion du comédien prend tout son sens. L’enfer, finalement, est peut-être dehors, dans nos vies de tous les jours. Et lui est là pour nous apporter une bulle de respiration, un moment où l’on peut rire, tout relâcher et prendre du temps pour nous. Pour preuve : il nous invite à sortir nos téléphones et faire ce qu’on n’a jamais le temps de faire, pendant que lui nous accompagne avec des airs de piano, s’entraînant pour une audition…

Alors on se met à penser à notre quotidien, au stress ambiant, au temps qui nous manque, à la fatigue qui s’accumule, aux aléas de notre job… Et si l’enfer c’était ça, au fond ? Si on y était tous les jours, quand on oublie de vivre et de penser à soi ? La question mérite en tout cas d’être posée, et c’est fait de manière plutôt subtile. Dans un spectacle où l’humour ne l’est pas vraiment, et c’est assumé d’ailleurs : entre compilations de pets, twist avec son pénis ou moqueries totalement gratuites envers le public, on comprend bien vite que la véritable réflexion est bien ailleurs. Tout comme Satan, Louis Bonard parvient alors à nous rallier à sa cause, sans nous y forcer, en interagissant et s’insinuant subrepticement dans notre esprit, jusqu’à demander à celles et ceux qui le souhaitent de le rejoindre, littéralement. On ne vous en dira pas plus ici. Le mieux est encore de vivre l’expérience…

Avant de teaser, en guise de conclusion, le dernier épisode de l’Apocalypse. Louis Bonard nous explique qu’après Le Règne, tout sera détruit, la planète entière. Et là, dans ce qui s’apparente au néant, le bien et le mal continueront à se livrer une lutte sans merci, jusqu’à fusionner. Pour recréer un monde meilleur et repenser le futur, ainsi que cela avait été évoqué dès le début ? Pour savoir si la boucle est véritablement bouclée, il faudra désormais attendre fin avril 2023…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

L’Apocalypse – Épisode 3 : Le Règne, de Louis Bonard, du 6 au 9 octobre 2022 à l’Arsenic.

L’intégrale de L’Apocalypse sera jouée du 9 au 14 mai prochains au Théâtre Saint-Gervais.

Conception et jeu : Louis Bonard

Dramaturgie : Marion Duval

https://arsenic.ch/spectacle/apocalypse-episode-3/

Photos : © Arsenic

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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