Le banc : cinéma

Fantasme, comment vivre avec une histoire manquée

Depuis le 29 décembre 2020, le dernier moyen métrage d’Éléonore Costes est en libre accès sur YouTube. Porté par les excellent·e·s Audrey Pirault, Sébastien Chassagne et Adrien Ménielle, Fantasme raconte avec brio et poésie comment vivre avec une histoire impossible.

Tout commence à la fin d’une soirée déguisée. Gabriel (Sébastien Chassagne), dans son costume de cosmonaute, ose enfin aborder la belle Vic (Audrey Pirault), qui vient à peine de ranger son drap de fantôme dans le panier de son vélo. Durant des heures, en pleine nuit parisienne, iels discutent. On n’en saura pas plus sur la nature de leur relation, mais une chose est certaine : les chemins de ces deux êtres sont désormais liés. On est ensuite projeté quatre ans plus tard, et Vic, toujours sur son vélo, croit voir le cosmonaute partout dans la rue. Déconcentrée, elle rentrera dans une voiture et sera victime d’un terrible accident, qui lui demandera des mois de rééducation. Aidée par Arno (Adrien Ménielle), le chauffeur de la voiture, elle réapprendra à vivre. Mais l’ombre du cosmonaute, dont elle ne parvient plus à se rappeler le vrai visage, planera toujours sur elle…

Des occasions manquées

« When you gonna realize it was just that the time was wrong ? » demande Roméo à Juliette dans « Romeo and Juliet », sublime morceau des Dire Straits. C’est une question qui vient rapidement à l’esprit lorsque l’on visionne Fantasme. Au fil du moyen métrage, grâce à des flashbacks, on en apprend un peu plus sur la relation entre Gabriel et Vic, qui continuent à se voir après la soirée. Seulement voilà, Gabriel est en couple et souhaite rester fidèle. Il n’y a donc pas de place pour une histoire avec Vic. Ensemble, ils conviendront de continuer à se voir et entretenir une belle amitié. Oui, mais… Tous deux savent bien que leurs sentiments dépassent cet état. Fantasme interroge ainsi, sans parti pris, les histoires manquées, celles qui ne peuvent exister pour diverses raisons : pas le bon moment, un contexte pas favorable, des sentiments qu’on ne s’avoue pas… Le tout reste suggéré et, même si l’histoire de Gabriel et Vic est bien précise, on peut se reconnaître, à un moment ou un autre de notre vie, dans ce qui leur arrive.

« Dans ma tête, j’ai une pièce où tout est possible, et dans cette pièce, je te parle tous les jours. » Cette phrase prononcée par Gabriel résume sans doute à elle seule ce qu’est le fantasme : un imaginaire possible, qui ne se réalisera jamais. C’est là que le film d’Eléonore Costes bouleverse. Plutôt que de montrer la souffrance de deux êtres qui ne peuvent pas être ensemble, elle propose une autre façon de ne pas vivre leur histoire, dans une réalité qui ne fait souffrir personne. Enfin, ça, c’est en apparence… Par ce procédé, Fantasme questionne les rapports amoureux, la fidélité et la conception du couple en général. Sans apporter de réponse toute faite, sans prendre parti, le film propose des alternatives, tout en démontrant les limites d’un fantasme. Jusqu’à quel point peut-on le laisser entrer dans sa vie sans qu’il ne la perturbe ? Et quand cette limite est franchie, il faut prendre une décision. Dans le cas présent, le fantasme devient petit à petit un fantôme, un souvenir, auquel il faudra peut-être songer un jour à dire adieu… Les costumes du début prennent alors toute leur dimension métaphorique dans une conclusion poétique à souhait.

Tout d’un grand film

Si Fantasme bouleverse autant celles et ceux qui l’ont vu – il n’y a qu’à lire la section des commentaires sur Youtube pour s’en rendre compte – c’est aussi parce qu’un soin tout particulier a été apporté à la réalisation de ce film. Eléonore Costes s’entoure d’une équipe tout bonnement brillante. Romain Prouveur démontre, par exemple, ses talents de directeur de la photographie. La relation entre Vic et Gabriel se construit ainsi dans la rue, à la lumière des réverbères, dans une ambiance à la fois chaleureuse et intime. Les images ne sont pas sans rappeler l’intriguant Midnight in Paris de Woody Allen dans lequel il était question de changer de réalité et de remonter le temps de façon poétique. Le tout dans les rues nocturnes de la ville-lumière, qui n’aura jamais aussi bien porté son nom. Ces moments en extérieur contrastent avec l’univers aseptisé de l’hôpital dans lequel se trouve Vic après son accident. Les lumières bleues halogènes donnent à ce moment une ambiance froide, symbole de l’état intérieur de Vic, qui ne profite plus de la vie. L’arrivée d’Arno mettra un peu de couleur dans l’existence de la jeune femme, mais il faudra du temps avant que la chaleur ne revienne.

Cette ambiance est complétée à merveille par les créations musicales de Robin Strauss, dont les notes cristallines emmènent le·la spectateur·trice hors du temps, comme dans un rêve suspendu. S’il est difficile de décrire avec des mots ce que provoque la bande son de Fantasme, on peut toutefois souligner le fait qu’elle nous plonge complètement dans le film, comme si on était dans une bulle de laquelle on ne ressort qu’après le générique de fin.

Mais Fantasme ne serait rien sans son formidable casting. On évoquera la lumineuse Audrey Pirault, qui donne au personnage de Vic toute sa sensibilité et sa complexité, comme un miroir de l’âme de toutes celles et ceux qui se reconnaîtront, à un moment ou un autre, dans son personnage. Sébastien Chassagne apporte, quant à lui, un aspect énigmatique dans son rôle de Gabriel. Pris entre deux feux, il doit faire des choix, que certain·e·s ne comprendront pas toujours, mais qui feront de Gabriel un personnage attachant et droit dans ses bottes. Enfin, Adrien Ménielle apporte la touche d’humour qu’il fallait, dans le rôle d’Arno, ce chauffeur qui se sent coupable de l’accident de Vic et qui fera tout pour se faire pardonner et ramener la lumière perdue dans la vie de la jeune femme…

Et à la fin, une question reste en suspens : comment s’en sortir ? Faut-il apprendre à vivre avec son fantasme ou tenter de l’oublier ? La réponse différera pour chacun·e, comme pour les personnages. Quoiqu’il en soit, Fantasme symbolise ce furieux désir de vivre et nous enseignera au moins une grande leçon : quelle que soit la façon dont on choisit de faire face à son fantasme, il ne doit jamais, au grand jamais, nous enfermer et nous empêcher d’exister. Poétique, vous avez dit ?

Fabien Imhof

Référence : Fantasme, d’Eléonore Costes, avec Audrey Pirault, Sébastien Chassagne, Adrien Ménielle… 2020 (52 min)

Photo : © Romain Prouveur et Eléonore Costes

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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