La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°3 : Et la marmite se brisa

Et la Marmite se brisa : épisode 20

Vous aimez les enquêtes et les énigmes ?

Vous rêvez de courir après les meurtriers, d’élucider des crimes, d’être aussi habile que Sherlock Holmes, aussi perspicace qu’Hercule Poirot ? Les interrogatoires ne vous font pas peur et les indices, c’est votre rayon ? Bienvenue dans Et la Marmite se brisa, une fabuleuse enquête de Miss Apfel !

Et la Marmite se brisa est un nouveau récit participatif lancé par La Pépinière à l’automne 2020. Entre le feuilleton et le cadavre exquis littéraire, nous avons réuni des autrices et auteurs de tous bords : amateur.trice.s, confirmé.e.s, déjanté.e.s, sérieux.ses, jeunes ou plus âgé.e.s… Après le succès de nos récits participatifs précédents (Du jardin au balcon et La Geste d’Avant le Temps), les voilà prêt.e.s à s’embarquer pour une nouvelle aventure, sans savoir ce qui les attend. Cap sur le polar helvétique !

Pour cette première aventure de Miss Apfel (qui évoque bien sûr la Miss Marple d’Agatha Christie), plongez dans les secrets historiques de Genève…

Alors, ça vous tente ?

Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 20 : Du Passage… au Musée

Passage de Monetier

Le 11 décembre, vers 10h40 du matin.

Noir.

Elle ne distingue rien d’autre que du noir dans le fond du tunnel. Un léger frisson de peur, mélangé à de l’excitation du mystère et de l’interdit, lui descend le long de la colonne vertébrale. Elle dégaine prestement son téléphone et allume la lampe de poche.

« Vive la technologie ! » murmure-t-elle pour faire un bon mot, mais aussi pour se rassurer. « Allez, en avant, Heidi ! » lance-t-elle aux ténèbres qui s’étendent devant elle.

Elle s’enfonce dans le tunnel aux parois inégales.

Pas un bruit… pas un chat… ou un rat… juste quelques araignées qui s’enfuient, effrayées par la lumière soudaine…

… quand…

Plotch !

« Ah non ! Mais j’ai marché dans quoi ?! Aaah, j’en ai plein la chaussure !… »

C’est gluant et sombre…

« Mais… on dirait… du bitume ! C’est le même truc qui flottait dans la marmite de la brouette, celle où y’avait les yeux ! Cette fois, tu restes loin de moi, saleté, je ne te respire pas ! »

Prenant garde à bien retenir sa respiration, elle entreprend de nettoyer sa semelle et, ce faisant, prend appui contre la paroi.

Qui cède d’un coup sous son poids. Heidi se retrouve les quatre fers en l’air, sur le sol poussiéreux.

« Ouille ! Aïe !… Ohlala… ma tête ! »

Reprenant ses esprits, la jeune fille se relève et s’aperçoit qu’elle est à l’entrée d’un nouveau tunnel, plus sombre et plus impénétrable, semble-t-il, que le précédent.

« Un passage secret ! » murmure-t-elle, fébrile, son téléphone tendu devant elle comme une épée dérisoire. « Et peut-être au bout… les Adorateurs de l’Escalade ! »

Ce nouveau boyau débouche rapidement sur une bifurcation.

« On se croirait dans un film d’Indiana Jones, ma parole… qu’est-ce qu’il dit, déjà, dans La Dernière Croisade… ? Un X ne marque jamais l’emplacement ? Tu parles… Bon, alors… Gauche ? Droite ? Heu… Am stram gram… hum… allez, choisissons : gauche ! »

Quelques centaines de mètres plus loin, un mur l’arrête.

« Ah mince ! Peut-être que j’aurais dû choisir droite ? Et maintenant, je fais quoi ? »

Elle pousse le mur. Ça ne bouge pas. Choisissant une option plus systématique, elle appuie chacune des pierres, l’une après l’autre. Pas davantage d’effet. À la lumière de sa petite lampe, Heidi observe avec attention chaque bloc…

Là ! On dirait une sorte d’oiseau, avec une clef… Le cœur battant, elle pousse du bout du doigt sur l’étrange dessin gravé dans la roche… et brusquement, tout un pan de la paroi pivote sur lui-même, dévoilant un lieu qu’elle a déjà visité avec ses parents…

« Mais… ce sont les catacombes sous la Cathédrale Saint Pierre ! Ça alors, c’est dingue ! Quel capharnaüm ! Ils doivent être en train de faire des travaux… il y a des pelles, des pioches, des seaux, une hache… Tiens, c’est marrant, là-bas au fond… ils ont dû utiliser de la peinture rouge… pour indiquer la présence de tuyaux d’eau chaude, j’imagine. Mais ils ont peint comme des cochons : il y en a partout ! Bon, vu le nombre d’ouvriers qui doivent travailler sur un tel chantier, à longueur de journée, ce n’est pas là que je trouverai des indices sur cette secte d’Adorateurs de l’Escalade. Ça me paraît être un endroit beaucoup trop fréquenté pour un tel secret… »

Et Heidi repart de plus belle dans le tunnel, sans se rendre compte que quelqu’un l’observe depuis un coin sombre des catacombes…

La jeune fille revient à la bifurcation et prend, cette fois-ci, le couloir non exploré à droite.

Le parcours se complique : des escaliers qui descendent, puis remontent, des tournants à gauche, à droite… Le plafond est en partie écroulé, ce qui l’oblige à s’enfiler dans une sorte de chatière, moitié rampant, moitié à quatre pattes.

« Ce qu’il ne faut pas faire… quand on aime le mystère… » peste-t-elle entre ses dents.

Sous ses mains, le sol change : c’est du sable, à présent. Sortie de la chatière, elle se redresse, avise un dernier escalier qu’elle emprunte… avant de se retrouver à nouveau contre une paroi. Sans passage.

« Oh, mais c’est pas vrai ! C’est pire que le labyrinthe du Minotaure, ce truc ! »

Cette fois, la paroi est lisse, comme faite d’un seul bloc de pierre. Une pierre vert foncé, avec des taches noires, polie. Et une nouvelle marque : l’oiseau avec la clef.

« Ahah » marmonne Heidi, triomphante. « Te revoilà, mon petit ami… »

D’un doigt rendu tremblant par la course folle et l’excitation, elle effleure la marque, appuie, pousse un peu plus fort… la pierre s’enfonce avec un chuintement étouffé et le mur pivote sur lui-même d’un coup…

Heidi observe, éberluée. À présent, elle fait face à une grande pièce sombre, remplie de statues et de sarcophages dont on devine les silhouettes rectangulaires dans l’ombre. Derrière elle, la paroi s’est refermée avec un nouveau chuintement. Elle se retourne : le passage qu’elle vient d’emprunter est désormais une pierre sculptée, recouverte de hiéroglyphes – c’est donc ça, le recto de la paroi dont elle a révélé le mécanisme… Sous la pierre, il y a une étiquette explicative, rédigée dans un style lapidaire :

Stèle d’Amenhotep IV, aussi appelé Akhenaton,

10e pharaon de la XVIIIe dynastie.

« Je suis dans le Musée d’Art et d’Histoire ! » comprend soudain Heidi.

Elle recule de deux pas… Plotch !

« Ah non ! Pas encore ! »

Retenant sa respiration et baissant les yeux, elle aperçoit une nouvelle flaque de bitume, dans laquelle elle vient de marcher. Heureusement, il lui reste quelques mouchoirs en papier dans son sac. Elle essuie en pestant sa semelle, et jette le mouchoir dans une poubelle destinée aux visiteurs, dans un coin de la pièce. Prenant garde de se tenir assez loin du bitume, elle avise quelques gouttes sombres qui semblent mener ou partir de la flaque. Et plus loin, encore d’autres…

Dans la lumière rasante de son téléphone, c’est tout un chemin de gouttelettes noirâtres qui se dessine.

« Au point où j’en suis », soupire Heidi en haussant les épaules, « voyons où la piste va me mener… »

Sans faire de bruit, la jeune fille suit la piste. Elle passe entre les statues de Ramsès II et de la déesse lionne Sekhmet, contourne le sarcophage d’une chanteuse d’Amon, avant de remonter un grand escalier recouvert d’un tapis rouge. Suivant toujours la piste du bitume, elle traverse le grand hall du musée et entre dans la Salle des Armures. Les gouttes sombres s’arrêtent devant l’armure d’un soldat, au milieu d’une vitrine remplies d’armes des XVIe et XVIIe siècle. Une petite étiquette indique :

Armure du pétardier Picot.

Heidi connaît bien ce nom : Picot, c’est ce soldat qui, la nuit du 11 au 12 décembre 1602, a été chargé de faire exploser la Porte Neuve de Genève, pendant l’attaque des Savoyards… L’armure est là, bien droite dans la vitrine, lourde, en acier camouflé de noir, métal froid luisant faiblement dans la pénombre – avec, sur un carré de parchemin collé d’un bout de scotch…

« Mais c’est quoi, ça, encore ?! »

L’écriture est élégante, révélant une inscription, dans de belles lettres tracées à l’ancienne :

I fu hassia queman delé harbette,
 Poi anfela queman dés alüette
 I fu créva queman on fier crapio,
 Et poi saplia queman dés atrio.

En dessous, la traduction, en lettres plus minuscules encore – comme dans un effrayant jeu de piste historique :

Il fut haché comme des herbettes,
Puis enfilé comme des alouettes ;
Il fut crevé comme un fier crapaud,
Et puis taillé comme des atriaux.

Au-dessus de l’armure, le casque fait comme un crâne sinistre. C’est un chapel de fer, qui ressemble vaguement à un chapeau melon de métal, à large visière…

Mais, entre l’armure et le casque, Heidi voit avec horreur une tête pâle, verdâtre… d’où s’écoulent des filets de sang séché… deux yeux écarquillés, sans vie… et, sortant de la bouche et des deux narines… trois carottes en massepain !

*

Décidément, cette Heidi devient trop dangereuse.

J’ai bien essayé de lui faire suivre une fausse piste… mais la voici qui revient fouiner par ici… à la suite de quelles informations, je me le demande ! Ah, si seulement elle était partie enquêter avec sa tante dans le Mandement, comme prévu… Elle a bien failli me voir et découvrir le pot aux roses, la garce ! Il faudra que je pense à l’éliminer, elle aussi.

Ce sera pour plus tard. Je ne dois pas me dissiper.

Ma sacoche… il faut se dépêcher, il s’agit de ne rien oublier – ce serait trop bête. La bouteille de poison… la voilà. Des truffes en chocolat pour cacher le goût : elles sont là. Ce satané chocolatier ne va pas résister, j’en suis sûre. Loiseau, tu vas voleter une dernière fois ! Haha !

Qu’est-ce que j’oublie ?… ah oui! Quatre carottes en massepain, cette fois, que je vais avoir le plaisir de placer dans… hum… je verrai bien où le moment venu.

Et, naturellement, le bitume psychotrope pour te rendre très coopératif ! Attention, la bouteille a tendance à couler… Une chance de fréquenter à la fois des égyptologues et les dealers du coin – le produit est puissant… même s’il s’évente un peu trop rapidement, c’est vrai.

D’abord, Loiseau. Ensuite, ça sera au tour de Royaume et de Miss Apfel, qui rejoindra son cher Burnier en enfer… et j’aurai terminé notre vengeance, Père ! Je les hais tous : ces ados à qui tu avais donné ta confiance et ta protection, avant qu’ils ne te trahissent, cette Apfel et son Burnier qui ont détruit le but de toute ta vie, et qui ont mis en péril la tâche des Grands Maîtres qui t’ont précédé… mais c’est bientôt fini ! Grâce à moi, les Adorateurs de l’Escalade vont renaître du passé !

Oh, Père… quel malheur que tu sois mort en même temps que ce Burnier… si seulement tu n’avais pas basculé à sa suite, lors de ce matin funeste… tu me manques tellement, Père !

Encore quelques jours de patience, à faire semblant d’être une vieille fille fourrée dans ses paperasses…  et je le jure sur la Carotte Sacrée de Citrine, symbole de notre Ordre… tu seras amplement vengé, Père ! Enfin !

*

Et une silhouette sombre quitte sans bruit le chantier des catacombes de Saint-Pierre, enfilant autour de son cou un badge d’allure officiel. Dans la pénombre générée par l’éclairage de sécurité, un pendentif de citrine repose sur sa poitrine : une minuscule carotte, taillée avec soin et rehaussée d’une feuille en émeraude… Elle se balance au rythme des pas de la silhouette, tapant à intervalles réguliers contre le badge qui indique laconiquement : Cathy Piaget, archiviste d’État.

Sylvie Bossi (avec la collaboration de Magali Bossi)

La suite, c’est par ICI !

Et pour retrouver tous les épisodes, c’est par LÀ !

Tu n’as pas froid aux yeux et tu veux nous rejoindre ? N’hésite pas à nous envoyer un petit mot et toutes les informations pour ta prochaine enquête littéraire suivront…

Photo : © NadineDoerle

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